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S'oublier
Combien la préoccupation de soi-même rend malheureux ceux qu'elle hante et compromet le charme des relations de famille et de société ! Point n'est besoin pour cela d'être un vaniteux ou un orgueilleux. Les personnes dont nous parlons n'ont pas toujours d'elles-mêmes une très haute opinion, mais se demandent volontiers quelle opinion on a d'elles. L'attitude d'autrui à leur égard fait constamment le sujet de leurs pensées et de leurs conversations. Enfin une certaine timidité mal placée leur cause souvent une hésitation pénible quant à l'opportunité de tel ou tel devoir de société.
Quand on a constaté que des personnes, dites bien élevées en peuvent arriver là, on éprouve le besoin de dire à tous ceux qui ont charge d'enfants : "Surtout qu'ils soient dépréoccupés d'eux-mêmes !"
Comment obtenir à ce résultat?
Tout d'abord en veillant soigneusement sur nos paroles et notre conduite. Il ne faut pas que nos enfants, souvent perspicaces, toujours imitateurs, trouvent à copier en nous les traits indiqués tout à l'heure. Pour cela, évitons de nous entretenir devant eux des manques d'égards dont nous pouvons avoir souffert, des politesses qu'on ne nous a pas rendues, des manières peu aimables ou même impolies de celui-ci, de celle-là. Je ne parle ici que des torts commis envers nous par des adultes. Par contre, s'il s'agit d'enfants, il peut être bon de signaler leurs manquements, sans toutefois en paraître personnellement offusqués.
Cependant, et c'est notre second conseil, en parlant des enfants il faudrait éviter de les trop comparer soit quant à leurs défauts, soit quant à leurs qualités, à ceux à qui l'on s'adresse, surtout en présence d'autres personnes. Il ne faut pas répéter à tout propos: "Regarde ton ami André; il ne fait pas comme toi, au moins. Il dit bonjour comme il faut." " Vois la petite Emilie, en voilà une qui sait répondre quand les dames la questionnent, tandis que toi . . . tu as l'air d'une grande nigaude qui ne comprend pas ce qu'on lui dit!"
De trop fréquentes observations adressées directement aux enfants sur leur tenue en société, leur ton, l'expression de leur visage, etc. . . ., aboutissent généralement à un résultat tout opposé à celui qu'on se propose. On veut que les enfants s'expriment avec facilité, deviennent aimables et polis et l'on constate qu'ils sont toujours plus raides, embarrassés, même maussades en société. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'à force de penser aux recommandations qui leur ont été faites, ils ont perdu tout leur naturel, ce grand charme de la jeunesse. Cette attitude de l'enfant envers les étrangers est souvent provoquée par la présence de ceux qui le surveillent et le sermonnent d'habitude à cet égard. En leur absence, au contraire, il se sent plus libre et si certaines recommandations lui reviennent à la mémoire, il peut s'efforcer de les observer, sans être gêné par cette arrière-pensée : "Trouvera-t-on que c'était bien comme cela que je devais dire ou faire ?" Il est vrai que tous les enfants ne sont pas aussi sensibles à ces choses; mais il nous paraît très important de les étudier à ce point de vue, et d'être fort prudents dans les observations qu'on leur fait sur leur manière d'être avec autrui, surtout lorsqu'il s'agit de témoignages de politesse ou d'affection.
Nous conseillerons aussi d'éviter d'influencer la volonté de l'enfant par la pensée de l'opinion que telle ou telle personne pourrait avoir de lui.
Cette habitude, très fréquente chez les bonnes et même chez les mères, contribue à développer un esprit servile ou vaniteux.
Un enfant fait le mutin dans la rue, aussitôt on lui dit: "Que va penser ce monsieur qui passe? Tu vois il regarde." Ou bien : "Si la belle dame t'aperçoit, elle dira que tu n'es
plus du tout jolie." Ou encore : "Je dirai à ta marraine comme tu as été méchante et elle ne t'aimera plus." Remarquons ici que c'est surtout l'influence de l'opinion publique à laquelle il ne faut pas avoir recours; tandis qu'il sera quelquefois utile de faire vibrer la corde de l'affection en disant. "Ta mère serait peinée de t'entendre parler ainsi." "Ta conduite causera beaucoup de chagrin à ton père."(1)
Il arrive aussi qu'on profite de l' heure du repas pour faire honte au coupable, lui infliger une humiliation qu'on croit salutaire. Ce moyen, qui a parfois réussi, ne nous paraît pourtant pas recommandable dans tous les cas; cette humiliation aigrit souvent l'enfant et lui rend pénibles des relations qui devraient être pour lui, agréables et pleines de cordialité.
Enfin, et ceci découle de ce qui précède, que les enfants ne se sentent pas observés et ne leur révélons pas ce qu'on pense et dit d'eux, quant à leur extérieur, leur science, leurs talents ou leur manière d'être.
Celui qui recherche avant tout l'approbation de son Dieu, conquérera tôt ou tard, sans l'avoir recherchée, l'estime des coeurs purs et droits et supportera aisément d'être méconnu par ceux qui mettent leur gloire dans ce qui est terrestre, c'est-à-dire passager. Affranchi des pensées mesquines, des petites rancunes, de la sotte vanité, des vues étroites, de la crainte du "qu'en dira-t-on", il pourra dire avec tous les hommes libres: "Vous m'approuverez ou non, je réussirai ou non, ma récompense est
ailleurs, mon succès est ailleurs, mon trésor est ailleurs. Il est au-dessus de l'atteinte des hommes et du choc des événements."(2)
1) Mais on ne doit jamais faire supposer à l'enfant que ses fautes pourraient lui faire perdre l'amour de ses parents.
2) Comte Agénor de Gasparin.
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