ARCHIVES (2000)

Vilaine petite fille

Dites à l’enfant qu’il peut se tromper sans vergogne.
Aidez-le à s’accepter tel qu’il est.
Apprenez-lui très tôt à s’aimer.

Souvenir
J’ai 5 ans. Les mamans nous accompagnent encore sur le chemin de l’école. On les entend dire que la maîtresse est sévère mais juste. C’est vrai qu’elle nous fait un peu peur. Elle a de grandes dents dans une bouche très rouge.
En classe certains élèves n’osent pas demander pour aller aux toilettes. Il y a des accidents. On rigole doucement et on va chercher la « panosse ».
Je me tortille sur ma petite chaise. Qu’est-ce que j’attends pour lever la main. Je ne veux pas déranger la maîtresse. Ma tête bouillonne. Enfin elle remarque ma détresse. Trop tard! Je vais chercher la « panosse ».

J’ai honte, je suis stupide, je suis sale.

Souvenir

J’ai 6 ans. C’est la récréation. Je déambule dans le préau de la vieille école. Au pied de l’arbre gît une balle en mousse jaune, un peu rongée. Je la ramasse. Elle ressemble à la pomme que je grignote.
- Cette balle est à toi?
Je lève les yeux vers les deux maîtresses plantées devant moi. Une fille me montre du doigt:
- Elle me l’a volée!
Je panique sous les regards accusateurs. Non, je n’ai pas volé cette balle. Ma tête bouillonne. Je m’embrouille et finis par affirmer en baissant les yeux que c’est la mienne.
- Je crois que tu mens! dit une des surveillantes tandis que l’autre ajoute d’un air dégoûté:
- Et regardez comme elle mange sa pomme!
Je contemple le trognon humide collé entre mes doigts poisseux.

Je suis voleuse, je suis menteuse, je suis sale.

Souvenir
J’ai l’âge des grands. L’âge de commencer à écrire à la plume dans le petit cahier oblong. Les bons élèves n’écrivent déjà plus au crayon. A mon tour de recevoir dans l’encrier du pupitre un peu de cette encre sacrée.
Le nez sur la feuille quadrillée, je m’applique à tracer de beaux chiffres à l’intérieur des carrés, sans déborder. Mes doigts transpirent sur le porte-plume en bois clair, et le gros bec à bout rond arrive non sans peine au terme de la dernière opération: 7 + 8 = 13.
Erreur, horreur! Ma tête bouillonne. Que faire pour qu’elle ne voie pas? Je gomme fébrilement, la faute s’efface mais un trou la remplace. Et l’ongle verni de l’index magistral vient se poser sur la page froissée et souillée.
Une larme de désespoir s’écrase sur les calculs. A côté du trou se forme un petit lac bleu.

Je suis une incapable, je suis bête, je suis sale.

Vilaine petite fille,
Je croyais t’avoir abandonnée au fond de mon enfance.
Tu as refait surface à l’adolescence.
Que d’énergie dépensée en vain pour te cacher!
Il m’en aura fallu du temps pour te libérer...

Jacqueline Vodoz
Communauté romande des Ecoles de parents
Groupe Média

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