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(2000)
Minorité
Nous
étions en 1961, nous évoquions les prochaines fêtes
de fin dannée quand subitement, la maîtresse
ma regardée, un certain sourire aux lèvres.
Dune voix mielleuse, elle me demanda:
- Chez vous, vous fêtez le Nouvel An en septembre, nest-ce
pas?
Dans la classe, des exclamations de surprises suivirent cette remarque.
En une seule seconde, je devins la cible de 18 regards interloqués.
- Dailleurs, enchaîna linstitutrice sur sa lancée,
les deux mains décemment jointes sous son menton, je crois
savoir que - chez vous - on ne fête pas la naissance de Jésus
puisque vous pensez que le Messie nest toujours pas venu...
Hum?
Cette fois, railleries et éclats de rire fusèrent
de tous côtés. Je me souviens avoir rougi. Tellement
rougi que mes joues me brûlaient. Autour de moi, mes camarades
de classe, du haut de leurs 10 ans, mobservaient hilares,
et la bête curieuse que jétais tout dun
coup devenue a souri, ne sachant que faire dautre, et espérant
de la maîtresse un mot dapaisement.
Il nest pas venu. Ce fut une autre cloche, celle de la fin
des cours, qui me libéra.
Albert Cohen ou Jeanne Hersch, parmi tant dautres et à
une toute autre échelle certes, ont si bien décrit
cet impitoyable sentiment disolement qui fige lindividu
placé soudainement en situation minoritaire: profonde solitude
et consternante déception causées par des gens côtoyés
journellement et que lon croyait connaître...
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