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(2000)
Angoisse
tue
Labsence du papa, parti en voyage daffaires, suscitait
chez moi une paresse inouïe que je nessayais dailleurs
nullement de combattre en ce dimanche matin de novembre. Il était
outrageusement tard lorsque les trois plus jeunes se sont donnés
le mot pour squatter un coin du large lit conjugal où jétais
encore langoureusement « enduvettée ».
Sous
les rayons dune matinée timidement blanche, déjà
hivernale, nous avons entamé à coeur ouvert - moment
privilégié sil en est - un exceptionnel échange
sur nos sentiments profonds. Chacun à notre tour, moins timides
que lastre solaire, nous tentions dévoquer nos
peurs ponctuelles, ou pire, ces angoisses sous-jacentes qui vous
envahissent parfois lesprit comme va sélargissant
une tache dencre sur du papier buvard: lentement mais sûrement.
Cest
alors que jai eu la surprise dentendre laîné
des garçons (âgé à lépoque
de 17 ans) nous déclarer:
- Moi, cest bon, jai donné. A présent
rien ne peut plus matteindre!
Je
me souviens être restée bouche bée face à
autant dassurance. Quest-ce qui se cachait derrière
cette affirmation pour le moins péremptoire? Il ne se fit
pas prier pour expliquer quenviron cinq ans plus tôt,
il sendormait tous les soirs en pleurant, avalant ses larmes
en cachette et étouffant ses sanglots!
Bouche bée devint caverne...
- Mais enfin pourquoi???
- Parce que javais une terreur de vous voir mourir, vous les
parents. Cest bête je sais, mais javais très
peur de devenir orphelin à 12 ans...
Au bout dun long silence, jarticulai:
- Mais pourquoi nas-tu pas osé nous le dire? Pourquoi
avoir porté cette angoisse tout seul?
- Je ne sais pas. Peut-être parce que javais limpression
dêtre ridicule.
Ce matin-là, assise sur mon lit, je sais qui des deux sest
senti le plus ridicule...
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