ARCHIVES
(2001)
Ce
nest pas en forçant...
Cest lhiver. Je sue à grosses gouttes. Tout le
monde a son bonnet, ses gants, ses après-skis, sa doudoune,
son écharpe, ses lunettes de soleil, de la pommade sur les
lèvres. Il ne reste plus quà charger la voiture:
la luge, le bob, les assiettes qui glissent, les patinettes... Ne
pas oublier: les gants de rechange, les mouchoirs en papier, le
tube de produit solaire, de quoi grignoter en cas de petit creux
et boire en cas de petite soif, de quoi soccuper intelligemment
durant le trajet... et, bien entendu, lappareil photo pour
immortaliser nos exploits!
Ouf, au bout dune heure deffervescence, nous voilà
enfin prêts pour partir en expédition... Non, non,
nous ne partons pas passer un mois au Groenland, cest juste
notre petite sortie dominicale en famille, à 3 / 4 dheure
de route de chez nous.
Je me dis que, lété, ce sera plus simple et
moins encombrant. Quoique, pour nos sorties piscine, nous avons
aussi besoin de deux ou trois choses: les serviettes, les lunettes,
les tongs, les bouées, les chapeaux, les seaux, les pelles,
le bateau gonflable.
Il faut dire que, Groenland ou pas, les préparatifs sont
considérables. Et mes espoirs personnels de bien REUSSIR
notre escapade dans la neige sont directement proportionnels aux
efforts investis dans les préparatifs. Pendant le trajet,
janticipe les rires de mes enfants, leurs joues bien roses,
leur complicité fraternelle et notre joie authentique, le
tout sur fond de neige moelleuse et immaculée. Bref, je rêve,
en imaginant ma famille, version « perfection absolue ».
Dès notre arrivée, les choses se gâtent. Il
fait horriblement froid (je culpabilise de ne pas avoir prévu
cela et davoir habillé les enfants trop légèrement),
la neige est plutôt glacée, et, comble de la déception
(pour moi!), une dispute éclate entre mes trois fils à
propos de leur priorité sur un bob à deux places!
Je men mêle et tente de les raisonner, tant je suis
déterminée à ce que chacun PROFITE au maximum
de notre sortie. Résultat: les deux plus jeunes dévalent
la pente, pendant que le grand fait la tête.
Quand, dans mon souci de tout bien arbitrer, jarrive à
détourner lénergie des petits vers la confection
dun bonhomme de neige, et que je propose le bob, désormais
libre, à laîné, il continue à bouder
et refuse de samuser. Là, je pique la mouche, je macharne
à lui expliquer que ce serait tellement plus agréable
sil semparait joyeusement du bob pour PROFITER de la
piste, que cest inadmissible de réclamer quelque chose,
juste pour créer des conflits, que cest maintenant
quil faut samuser, car dans une heure ce sera trop tard.
Il ny a rien à faire, mais je narrive pas à
lâcher prise, je me sens comme un metteur en scène
qui a investi tellement defforts, didées et de
bonne volonté dans sa création, quil narrive
pas à admettre que son spectacle tourne au fiasco total.
Je suis à tel point concentrée à vouloir dérider
à tout prix mon fils aîné que je ne remarque
pas quand la toute petite disparaît avec sa luge dans la pente,
suivant une trajectoire fort incertaine. Elle sen relève,
le visage éraflé et en pleurs, et moi, je recommence
à en vouloir au monde entier. Quon est loin de mon
rêve de bonheur initial!
Finalement, on décide quil est temps de rentrer. Dans
la voiture, tout le monde fait la tête. Je rumine: autant
defforts et despoirs pour un résultat si frustrant!
Deux proverbes bulgares me viennent à lesprit: « Ce
nest pas en forçant que lon crée de belles
choses » et « Il suffit dune cuillerée
de boue pour abîmer tout un tonneau de miel ».
Je me dis que lharmonie nest pas chose facile et que,
dans une famille, souvent la mauvaise humeur de lun « déteint »
rapidement sur létat desprit des autres. Quon
na pas le pouvoir de forcer quelquun à être
bien, mais quon peut lempêcher de gâcher
la joie dautrui.
A partir de ce jour-là, jessaie dappliquer et
de mappliquer deux règles. La première concerne
toute la famille: si lon nest pas disposé à
être en harmonie avec les autres membres de la famille, il
vaut mieux que lon reste seul, le temps que cela passe. Au
besoin, je mets personnellement le boudeur « hors-jeu »
et tâche de ne plus men soucier.
La deuxième règle, je mefforce de lobserver
à chaque fois que je ressens le besoin irrépressible
dorchestrer parfaitement la REUSSITE dune sortie, dune
fête, de nos vacances: dompter mon perfectionnisme, ne pas
trop attendre pour ne pas être trop déçue, et,
laisser limprévu menchanter!
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