ARCHIVES (2001)

Un grand cadeau

Luc, 12 ans, d’un milieu plutôt modeste, est venu jouer chez son camarade de classe Jonathan. L’invité regarde émerveillé la toute récente acquisition de son hôte: un clavier d’ordinateur sans câble! Clinquant neuf, posé bien en évidence sur son bureau, le nouveau gadget de Jonathan, fourni avec une souris dépourvue, elle aussi, d’un fil à la patte, est tout bonnement stupéfiant. Luc regrette à haute voix le fait que « c’est pas lui qui pourrait recevoir un truc aussi génial », car s’il en a déjà un de P.C., ce n’est qu’un vieux coucou refilé par son voisin qui s’est débarrassé d’un système informatique complètement « nase ».

Jonathan, qui avait récolté pour sa communion plusieurs bons de 50 francs, décide alors de faire une surprise à son copain. Le samedi suivant, il lui tend un gros paquet qui laisse Luc interloqué: son anniversaire ayant été célébré il y a déjà plus de huit semaines et le prochain Père Noël ne devant en principe se pointer que dans sept mois, Luc se demande en quel honneur il reçoit ce grand cadeau. Pour tout commentaire, Jonathan lui répond: « parce que tu es mon meilleur ami ».

Déchirant le chatoyant papier d’emballage et apercevant en transparence, sous un plastique dur entourant un long carton, un clavier sans fil escorté d’une souris sans queue, Luc reste un long moment bouche bée, fixant Jonathan comme si ce dernier était devenu fou.
- Mais... ça va pas la tête? finit-il par murmurer, les doigts tremblants d’excitation.

Remis de ses émotions et à peine rentré chez lui, Luc exhibe son présent avec la fierté de celui qui vient de gagner au Loto. Mais c’est là que l’histoire se gâte: son frère aîné n’apprécie pas du tout que son « minus-de-frangin » soit le seul bénéficiaire de cette merveille technologique et réclame d’une façon péremptoire que le nouveau clavier - sans fil - accompagné de sa souris en voie de mutation, soient installés sur le bureau du salon, là où trône son ordinateur, celui que les parents utilisent parfois parce que beaucoup plus performant que celui du jeune Luc.

Quant aux parents, ils se posent plein de questions sur le pourquoi de ce cadeau, sans fil d’accord, mais aussi sans raison.
- Enfin Luc, sais-tu ce que coûte ce modèle de clavier? Pourquoi ton copain te l’offre-t-il? Les parents de Jonathan sont-ils au courant de cette folie?

Luc est gêné parce qu’il n’a pas d’autre explication à donner que celle que lui a transmise Jonathan: parce que je suis son meilleur ami. Cela ne semble pas suffire. Les parents sont on ne peut plus perplexes. Peut-on accepter un cadeau aussi extraordinaire dans des circonstances aussi ordinaires? Mais l’amitié est-elle une chose ordinaire?

Personnellement, en écoutant cette histoire, j’en déduis deux choses: la première, c’est qu’il me semble que lorsque ce geste généreux et spontané sort tout droit du coeur et non de la tête, il est à mes yeux digne de respect. En l’occurrence, n’était-il pas dédié à quelque chose qui n’a pas de prix: l’amitié?
En revanche, je crains à présent que la spontanéité de Jonathan n’ait été mise à rude épreuve: après l’embarras qu’il a déclenché involontairement auprès des parents de Luc, arrivera-t-il encore à donner sans trop réfléchir, c’est-à-dire à se fier à son instinct en étant persuadé que faire plaisir c’est forcément quelque chose de bien?

Jenny

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