ARCHIVES (2002)

Quelle différence entre Harry et Henri?

En premier lieu, je vous les présente: Harry est un enfant, il a des lunettes, il connaît la magie. Il est très connu des enfants.
Henri est un adulte, il a une moustache, il a la magie au bout des doigts quand il joue de la guitare et dans la tête quand il chante. Il est très connu des enfants, mais un peu moins que Harry.

* * * * *

Parlons d’abord de Harry, car les parents aiment beaucoup raconter l’histoire de sa naissance.

Il est né dans une gare. Sa maman était très pauvre et très seule. Elle habitait dans un pays qui n’était pas le sien et était malheureuse. Un jour, sur un quai de gare, elle a commencé à rêver et c’est ainsi que le personnage de Harry est né. Une fois rentrée dans son pays, elle a continué de rêver, d’imaginer très fort et finalement elle a écrit tout ce qu’elle voyait dans sa tête. Comme elle n’avait plus d’argent, elle a essayé de vendre ses livres.
Et le miracle a eu lieu. Les enfants ont quitté leurs écrans et ils ont fait ce qui ne s’était plus vu depuis des années: ils se sont précipités dans les librairies pour se procurer les livres écrits par cette jeune femme. Ils se sont même levés au milieu de la nuit, pour être les premiers à pouvoir les acheter quand de nouveaux paraissaient. Ils se sont véritablement jetés dans la lecture et ils ont adoré.
Les parents ont dit: « Qu’est-ce que cela fait du bien dans notre monde d’aujourd’hui! » et ils ont aussi aimé ces romans. La jeune femme, elle, est devenue très riche, presque malgré elle.

Le temps a passé. Un jour, la maman de Harry était assise dans sa très belle maison en train d’écrire quand des gens ont frappé à la porte, ou peut-être était-ce elle qui les avait invités, personne ne le sait. Ces gens, par leur charme, ont fait resplendir devant elle des billets de banque, beaucoup de billets, de toutes sortes de pays. Ils ont expliqué que cet argent serait à elle si elle signait au bas d’une page blanche. Son Harry, d’un coup, serait partout: sur les grands écrans, dans les petites mains des enfants, dans les coffres à jouets, dans les revues, sur les murs. Les enfants pourraient alors le toucher, le manipuler, le faire bouger en vrai et en virtuel, le jeter, le casser, qu’importe. Ils n’auraient plus besoin de faire l’effort de le découvrir dans des livres de plus de 300 pages puis de l’imaginer dans les méandres de leur cerveau. Il leur suffirait de payer et Harry serait à eux. La maman a signé. Elle a dit oui et plus encore.

Maintenant, elle habite une immense maison, mais certains parents, qui aimaient cette fable, ne veulent plus la raconter car la fin est allée au-delà de leurs pires cauchemars. Le merveilleux s’est écroulé, il est allé rejoindre, sur les étalages des grands magasins, les nombreux cadavres de ces personnages volés dans des contes, qui ont été triturés, torturés, puis oubliés.
Les parents sont d’autant plus déçus qu’actuellement, ils ont de la peine à trouver des récits qui pourraient servir d’exemple à leurs enfants, qui auraient un petit peu, rien qu’un petit peu de morale et de valeur. Pas de ces trop grandes morales qui s’appellent « le bien contre le mal ».
On ne connaît presque plus les héros dont on parlait auparavant, tel Jésus, ou d’autres issus de la littérature. Les nouveaux modèles se trouvent dans les media. Ce sont les stars, les politiciens, les hommes et femmes d’affaires, les sportifs, etc. Dans cette monotonie et cette morosité, l’histoire de la naissance de Harry était réconfortante.
Vous pensez que j’exagère? Sachez que de nombreux enfants autour de moi ont refusé de voir le film. Leur Harry, ils l’avaient tellement aimé qu’ils voulaient le garder pour eux, comme eux l’avaient imaginé. Ils m’ont toutefois avoué que c’était trop tard, que d’avoir vu et revu le lancement du film, les autocollants et les gadgets, leur Harry avait disparu...

* * * * *

Peut-être qu’on pourrait leur raconter les aventures d’Henri. Elles sont moins spectaculaires et pourtant...

Henri chantait comme il pouvait, dans des petits théâtres, aux fêtes de quartier. Il n’était pas connu et n’était pas très riche. D’autant qu’il vivait dans un pays où chanter n’a jamais rapporté gros. Un jour, il a eu un fils. Il ne lui a pas écrit un livre mais une chanson, juste comme ça, pour lui faire plaisir. Et voilà que ce plaisir, d’autres personnes voulaient l’avoir aussi. Alors il a écrit de nouvelles chansons. Les enfants ont adoré. Ils en ont redemandé et les parents aussi. Alors Henri est devenu si connu qu’il y a même cinq écoles qui portent son nom dans le pays voisin du sien, où il est encore plus célèbre que par chez lui.

Le temps a passé et un jour, les mêmes gens sont venus lui rendre visite. Ils lui ont fait miroiter des billets de banque, un peu moins que dans le récit précédent et dans moins de monnaies différentes, mais tout de même beaucoup. Et bien Henri, lui, leur a fermé la porte au nez. Avoir davantage d’argent ne l’intéressait pas. Ses chansons, il voulait qu’elles continuent à passer par les oreilles pour atteindre l’imaginaire des enfants, car il savait que c’était le meilleur moyen de toucher leur coeur.

Dans notre monde, nous parlons davantage de Harry Potter que d’Henri Dès, mais heureusement que des histoires comme celle d’Henri existent encore!

Julie

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