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(1992)
Etre
père, c'est avoir peur tout le temps
Hervé
BAZIN, père de sept enfants, grand-père et arrière-grand-père
nous dit à propos de son dernier roman. L'école des
Pères* comment il conçoit le métier de chef
de famille.
Extrait
d'une interview
- Au départ, je voulais écrire "L'Ecole des Parents"
et je me suis rendu compte, au fil des pages, que c'est le père
qui exprime son point de vue, qui accepte son évolution,
même s'il lui arrive de rouspéter souvent! Depuis mai
68, il y a eu une telle évolution des moeurs, l'éducation
et le comportement du père ont complètement changé.
Les femmes travaillent, les profs en savent souvent plus que le
père, d'autres voix couvrent la sienne et il est de moins
en moins indispensable, ce qui l'oblige à réviser
son rôle.
- Comment remplit-on son rôle de père quand on a l'âge
d'être grand-père ?
- L'éducation est le fruit d'une longue réflexion,
qui se fait des années durant sur toutes les situations qui
se présentent. On n'a pas "une", mais des expériences.
On ne peut faire abstraction ni de son tempérament, ni de
son humeur, on fait des erreurs à tout âge, mais il
y en a tout de même un bon nombre que je ne ferai plus. Je
suis donc un père qui s'améliore avec les années
bien que, avec le petit dernier, je sois victime de mon expérience:
cette paternité est délicieuse et j'aurais tendance
à lâcher du lest.
Nous pouvons faire beaucoup pour nos enfants, mais les directions
qu'ils prennent nous échappent complètement et c'est
d'ailleurs beaucoup mieux ainsi. Ce n'est pas réduire le
rôle du père, c'est le transformer. C'est faire ce
à quoi devraient s'employer tous les éducateurs des
collèges: aider les enfants à savoir vraiment ce qu'ils
ont envie de faire et, à partir de là, les pousser
de toutes nos forces dans la direction choisie. On a le devoir d'armer
ses enfants, de favoriser leur vocation et ensuite, de les laisser
faire.
- Même quand ils ne veulent rien faire ?
- Etre père, c'est avoir peur tout le temps, c'est aussi
avoir toutes les raisons de garder espoir. Un de mes fils m'a donné
des sueurs froides mais, après avoir erré longtemps,
il a fini, grâce à son mariage, par très bien
retomber sur ses pattes. Sauf incident majeur, il faut toujours
rester confiant.
- Vous sentez-vous très concerné par les problèmes
de notre époque ?
- Bien sûr! Ma génération est celle qui aura
connu la plus importante et la plus rapide évolution des
moeurs, qui va de pair avec celle des sciences et des techniques.
Ça crée d'énormes difficultés dans les
rapports sociaux, mais c'est très excitant de se dire qu'on
est né avec le cheval et qu'on meurt avec la fusée.
Dès l'instant où on participe à la vie de l'enfant,
il fait partie de la vôtre et c'est magnifique. L'expérience
prouve que celui qui donne est celui qui reçoit le plus,
car la vie se rembourse, même si c'est démodé
de le dire, et le refus de paternité, fréquent chez
les intellectuels, n'est que le masque de l'égoïsme.
Quand Taine dit: "J'aime trop mes enfants pour leur donner
un père", je traduis: "J'aime trop ma vie pour
me donner des enfants" et j'ajoute: "L'abominable!"
- Pourquoi parlez-vous si peu du rôle de la mère ?
N'est-ce pas un peu de la misogynie ?..
- Au contraire! Je n'en parle pas parce que c'est un rôle
considérable. Ne serait-ce que par ce que j'appelle le pouvoir
du sein. Celui du père, dans toutes les races animales, exception
faite de l'escargot, de l'hippocampe et de quelques oiseaux, n'est
jamais vital. Sa manière de se rembourser, en quelque sorte,
c'est l'éducation, qui lui permet à son tour d'accoucher
de l'enfant, par la porte, le jour où il le fait voler de
ses propres ailes. Mon père, qui n'avait rien d'un créateur,
mais qui possédait une très grande culture, m'a appris
énormément. Par nature, le père est toujours
adoptif et n'est réellement adopté que si ses enfants
le reconnaissent comme tel. Ma plus grande fierté, c'est
d'avoir été adopté par mes sept enfants.
Interview
de Sylvie Genevoix
*L'Ecole
des Pères, Hervé Bazin, éd. du Seuil, 1991
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