ARCHIVES
(1992)
Père
manquant, fils manqué
De Guy Corneau, éd. de l'Homme, 1989.
Guy
Corneau se demande pourquoi la condition d'homme est si inconfortable
aujourd'hui, pourquoi les hommes ont peur de l'intimité,
pourquoi ils redoutent cette agressivité qu'ils refoulent
au plus profond d'eux-mêmes, pourquoi ils se sentent obligés
de jouer les héros, les éternels adolescents, les
séducteurs, les bons garçons. Pourquoi il est si difficile
de devenir un homme à part entière dans nos sociétés
où les rites initiatiques de l'adolescence ont disparu.
Devenir un homme à part entière; un homme avec sa
force qui se permet des faiblesses, mais qui est présent
dans la famille. Chez Guy Corneau au moment de l'adolescence, au
moment où il en avait tant besoin, le père lui fait
faux bond, il s'est évanoui, il a disparu.
Dans les conversations, il ne lui laissait aucune place. "Mes
arguments ne valaient rien, et ne pouvaient rien valoir; j'avais
beau essayer, je n'étais pas un homme."
Corneau pense qu'on est en train d'assister à la naissance
du "père". Au réveil du père. Témoin
ces jeunes pères autour de nous. Mais attention, aider à
s'occuper de bébé est déjà une bonne
chose, mais bientôt il faudra affronter la puberté,
l'adolescence avec ses hauts et ses bas, ses perpétuelles
questions et remises en question. C'est à ce moment-là
que l'enfant a besoin d'un vrai père présent.
Maude
Guy
Corneau précise :
"Pour ce qui est du terme "fils manqué", au
risque de faire un mauvais jeu de mot, j'ai voulu souligner le fait
qu'il n'y a pas de filiation entre les pères et les fils.
Ce n'est pas tant que les fils soient "manqués"
au sens propre du mot, mais plutôt en manque de père.
"
Extraits
choisis par la rédaction
...Je me rappelle, j'étais tout petit encore, que mon père,
lorsqu'il recevait la visite de ses frères, passait l'après-midi,
entier au sous-sol, discutant avec eux du sens de la vie, de Dieu.
Assis sur les marches de l'escalier et recevant les échos
de leurs conversations, j'étais ravi; j'avais hâte
d'être grand pour pouvoir parler à mon tour. Hélas,
quand je le devins, mon père eut peur de discuter avec moi,
car mes valeurs différaient trop des siennes. Il ne faisait
que me culpabiliser par son silence. Je me retrouvais une fois de
plus dans cette chaise de la mère, en attente de la parole
du père. Je m'y retrouvais, timide, baillonné, à
la recherche d'un mot, d'un membre, d'un phallus; quêtant
la confirmation de ma réalité d'homme. Mais le silence
de mon père m'ordonnait de demeurer à jamais un petit
garçon fasciné par une réserve que je prenais
pour de la fermeté. (p. 15)
...Le
père présent
Le père est le premier "autre" que l'enfant rencontre
en dehors du ventre de sa mère. Assez indistinct pour le
nouveau-né, le père incarne d'abord la non-mère
et donne forme à tout ce qui n'est pas "elle".
Par sa simple présence, il met un terme à la symbiose
paradisiaque dans laquelle vivent mère et enfant: "Ta
mère est ma femme, elle m'aime aussi! " L'enfant sent
qu'il n'est plus l'unique objet de convoitise. Dans ce sens, le
père incarne un principe de réalité et d'ordre
dans la famille. (p.27)
..."Chaque parent a une double fonction: fonction de repère
corporel pour l'enfant de même sexe que lui, et fonction de
lieu du désir pour l'enfant de sexe opposé."
Ce repère corporel dans le parent du même sexe servira
de base à l'établissement de l'identité sexuelle
qui, à son tour, si elle est bien fondée, permettra
à l'enfant d'éprouver du désir pour le parent
de sexe opposé. La présence du père auprès
du fils lui donnera donc la possibilité d'aimer d'abord sa
mère et plus tard, de désirer la femme plutôt
que de la redouter ou de la mépriser. Il est absolument nécessaire
que les hommes commencent à cajoler leurs enfants, leurs
fils en particulier; ils leur ouvriront ainsi la porte de la sensibilité
et, ce faisant, ils découvriront la leur. Cela signifie que
la sensualité ne sera plus interdite aux hommes et que les
femmes n'y seront plus cantonnées; car les hommes ont aussi
des corps, et les êtres ont besoin d'être touchés
pour garder leur équilibre et savoir qu'ils existent. (pp.
32-33)
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