ARCHIVES
(1992)
Quatre
ans au foyer
La
décision de rester au foyer
Un père peut-il remplacer une mère à la maison ?
Voilà la question qui se posait avant de prendre "la
décision". Si la réponse que nous donnions à
ce moment-Ià n'avait pas été oui, je n'écrirais
certainement pas ces lignes aujourd'hui. Or je sais maintenant que
la question en elle-même est mauvaise. Elle implique un a
priori à mon avis inacceptable: "la mère reste
par principe au foyer". Même si notre société
fonctionne ainsi depuis des siècles, que l'on m'explique
de quel droit on empêcherait un père de s'occuper de
ses enfants ? Amour, tendresse, affection et bons soins seraient-ils
une exclusivité féminine ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les conditions
pratiques et psychologiques pour parvenir à cette solution
peuvent s'avérer difficiles à réunir. Je n'en
citerai que deux à titre d'exemple :
- L'épouse doit, évidemment, pouvoir subvenir aux
besoins financiers de la famille et l'on sait les différences
qui existent encore entre hommes et femmes dans ce domaine.
- Les réactions des proches, des amis, ou des connaissances
face à l'homme "qui ne travaille plus" doivent
pouvoir être entendues et acceptées avant de prendre
la décision.
La
profession n'est pas tout
Père au foyer depuis quatre ans, je passe aujourd'hui en
revue les citadelles de mes jugements premiers, écroulées
lorsque j'ai cessé toute activité professionnelle.
Je vous livre aussi quelques considérations plus générales
sur le statut d' "homme au foyer".
Après avoir passé quelques années dans l'enseignement
primaire, et y avoir trouvé une réalisation vraie
et satisfaisante, force m'est de constater que la profession n'est
pas tout. D'autres valeurs doivent prendre une place plus importante:
présence de qualité auprès des êtres
proches, respect de ses propres plaisirs, de ses loisirs, de sa
santé mentale et physique.
Je ne veux pas ici nier l'importance ni surtout la nécessité
d'une profession, je désire simplement mesurer et maîtriser
au mieux les restrictions qu'elle implique dans les relations avec
mes enfants et mon épouse.
Certains d'entre nous ne se réfugient-ils pas dans une profession
absorbante pour échapper un peu aux difficultés et
aux remises en question inhérentes à une relation
parents-enfants ?
De
l'évaluation du travail ménager
Durant les années de vie commune avant l'arrivée de
notre premier enfant, je trouvais normal de participer pour moitié
aux tâches ménagères. Il apparut bien vite,
au moment de prendre la quasi-totalité de l'ouvrage en mains,
que ce que j'estimais sincèrement être une moitié
n'était en fait qu'un tiers... un petit tiers. Je m'aperçois
qu'il m'était impossible de mesurer avant d'avoir pratiqué
concrètement.
Je ne veux pas surestimer le travail ménager, mais j'ai été
surpris par l'écart entre l'image que je m'en faisais et
la réalité quotidienne de ces tâches parfois
ingrates. Notez que les travaux fastidieux que sont le ménage,
la lessive, la préparation quotidienne des repas, sont assumées
avec beaucoup moins d'ennui s'ils rencontrent un écho de
la part de celui qui rentre au foyer:
- Tiens, ça sent le propre chez nous !
- Merci pour ma chemise lavée et repassée !
- Mmmh! Cela sent bon dans cette cuisine !
Essayez, vous verrez, la différence est stupéfiante
!
De
l'importance d'une activité externe au foyer
Un des enseignements les plus importants de mon expérience
au foyer réside dans l'affirmation suivante: "La personne
qui s'occupe de l'entretien de la maison doit exercer une activité
hors de ses quatre murs."
Durant une courte période de deux mois environ, alors que
ma fille avait trois ans et que mon fils ne marchait pas encore,
j'ai vécu sans occupation externe. Je me suis vite aperçu
que cette situation engendrait deux phénomènes "graves",
car générateurs de conflits. La "poutze"
prend une importance démesurée, je "cours après
les grains de poussière" et le plus petit désordre
me rend agressif envers mes enfants et mon épouse n'ayant
d'autre but momentané que de tenir mon intérieur PROPRE.
Quelques semaines ont suffi pour me donner l'impression de n'avoir
plus rien à apporter dans la relation, plus rien à
raconter si ce n'est les "bobos" du petit dernier ou les
"cancans" des voisins.
Sur le moment, j'ai vraiment ressenti cela comme une dégradation
de ma personnalité. Il m'apparaît indispensable de
pouvoir trouver à l'extérieur de la maison, des intérêts
et des apports propres à conserver une identité. Pratiquement,
le soir est un moment favorable pour les activités telles
que le sport, la musique ou d'autres cours enrichissants.
Conclusion
J'ai le sentiment aujourd'hui de pouvoir m'occuper de mes enfants,
ni mieux, ni moins bien qu'une mère, simplement différemment.
Je ne porte pas aux nues la vie au foyer. Elle comporte elle aussi
ses moments difficiles, ses joies et ses satisfactions.
Non, le père ne remplace pas la mère, il n'a pas à
le faire, il apporte autre chose à l'enfant, une autre forme
de relation tout aussi bien adaptée.
Je souhaite simplement que notre société s'ouvre un
peu plus, pour permettre à d'autres pères de vivre
cette aventure.
Aloïs
Pinton
Retour
au sommaire 92
|