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(1992)
L'art
d'être grand-mère
L'art
d'être grand-mère, jadis assimilé à un
précoce vieillissement, a viré de bord, s'est hissé
à la une de la modernité, et les grands-parents aujourd'hui
de faire une entrée spectaculaire parmi les jeunes seniors.
Personne mieux que Jacques Faizant n'a su exprimer ce phénomène,
avant même que nous n'en prenions conscience, en un dessin
et deux lignes inoubliables. Sortait d'un sous-bois un loup hirsute,
affamé, squelettique, tirant une langue avide vers un petit
Chaperon rouge ahuri, qui tout gentiment répondait: "
Ma mère-grand ? Mais vous n'y pensez pas ? Elle est pas à
la maison; elle est en vacances avec le Club Méditerranée
où elle fait de la pêche sous-marine. "
Avec son coup de crayon, Faizant illustrait, résumait une
" révolution " de notre siècle sur laquelle
gens de plume et historiens auront de quoi longtemps épiloguer.
L'art d'être grand-mère, comme tout art d'amour, évolue,
s'adapte au temps. Et, comme toujours, les mémés sont
sur la brèche. Fidèles au poste, comme leurs aïeules,
elles bercent, pouponnent, consolent, veillent sur des devoirs scolaires,
jouent, enseignent, apaisent des dissensions, montent la garde,
remplacent des parents surchargés, mobiles, entraînent
leurs goulus de rejetons vers des sorties enrichissantes. Elles
ne dispensent pas moins d'amour que leurs aïeules, mais la
qua- lité du don supplée incontestablement à
la quantité de temps.
Grand-mère vit une époque charnière entre deux
réelles jeunesses. Elle sait que la vie pour elle commence
à quarante ans. A défaut d'avoir eu le loisir de s'y
préparer, elle entend rattraper des années, pas perdues
certes, mais vécues comme un tremplin d'où elle doit
s'élancer. Belle, coquette, soignée, courtisée,
sensible aux compliments, elle franchit le cap de mère-grand
comme le Rubicond, d'un bond léger, soucieuse de vivre pleinement
avant que sa toison ne blanchisse.
Extrait
Edy Aubry, Construire
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