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(1992)
Les
nouvelles grands-mères
Aujourd'hui,
les
grands-mères travaillent, sortent, voyagent, et n'ont pas
l'intention de changer de vie sous prétexte que leurs enfants
sont devenus des parents. Les jeunes mamans se plaignent. Où
sont les grands-mères confitures d'antan ?
C'est merveilleux une grand-mère. Ça porte un chignon
blanc, des perles, des dentelles amidonnées, ça prépare
les meilleurs gâteaux du monde, c'est toujours prêt
à garder ses petits-enfants.
Que celles qui auront lu ces lignes sans sourciller se réveillent.
Elles s'éviteront quelques déceptions en se débarrassant
de ce cliché. "Grand-mère" ne signifie pas
vieille dame. On peut l'être dès quarante ou cinquante
ans. La grand-mère a son travail, ses amies, quelques enfants
parfois à la maison. Elle voyage, fait du sport, divorce
et se remarie.
Résultat, filles et belles-filles grincent des dents. Elles
ne s'attendaient pas à ce que les mamies fassent de la résistance
devant leurs divins marmots. Apparemment, toutes les excuses sont
bonnes pour échapper au baby-sitting qu'elles tentent de
leur imposer: bridges, sorties, voyages, travail etc.
Les
grands-mères sont-elles donc indignes ?
Sont-elles
si
indignes que cela ces jeunes grands-mères ? Voire. Ne serait-ce
pas plutôt une vision un peu égoïste de mères
de famille en quête d'assistance car c'est bien connu, une
jeune femme qui accouche fait une petite régression; elle
a besoin. de s'appuyer sur sa mère. Si celle-ci ne répond
pas a I'appel, la déception est cruelle. La femme mûre
représente aux yeux de sa fille le seul point d'ancrage solide
dans un monde instable.
Deux
générations qui ont envie de profiter de la vie
Pour les petits-enfants aussi, les grands-parents sont un pilier
inamovible. Un point de repère dans le tourbillon! Un trait
d'union entre les époques, les étapes de la vie, les
membres de la famille. Un amortisseur également.
Mais les plus jeunes grands-mères avaient vingt ans en 1968.
Désormais, une nouvelle grand-mère doit assurer quatre
ou cinq missions à la fois. D'abord rester femme, pour le
plaisir d'exister par elle-même; ensuite une mère,
mission qui se prolonge, puisque les grands-enfants s'incrustent
plus longtemps; puis demeurer la fille de ses parents, lesquels
demandent davantage à mesure que les forces les quittent.
Enfin, devenir grand-mère, avec les perturbations psychologiques
qui peuvent accompagner ce nouveau "statut".
Et tout cela en gardant son autonomie, son propre réseau
social extérieur à la famille, son droit à
réussir une vie de couple, et de plus en plus souvent, son
emploi. Dès lors, on peut comprendre que bien des grands-parents
ne veulent pas "reprendre du service" tout de suite, en
tout cas, être considérés comme corvéables
à merci. Le grand mot est lâché: corvée.
"Les jeunes mères n'acceptent plus la charge de leurs
enfants. Elles cherchent sans cesse à les refourguer, remarque
une grand-mère. Tandis que nous, nous trouvions normal de
nous en occuper entièrement. J'ai calculé que pendant
quatre ans et deux mois je n'ai jamais laissé mes enfants
plus d'une heure et demie. Je n'étais pas une exception à
mon époque."
Aussi mères et filles, belles-mères et belles-filles
se livrent-elles une gentille guérilla pour "souffler
un peu". Et les grands-mères d'aujourd'hui n'hésitent
pas à se proclamer "indignes" pour avoir la paix,
une bonne fois pour toutes.
Toutes ces grands-mères "indignes" sont trop jeunes
pour s'effacer, trop occupées pour se substituer à
leurs filles. Mais tout espoir n'est pas perdu. Qui sait, avec les
années, la fibre maternelle finira peut-être par vibrer
à nouveau chez elles. Et comme le raconte une jeune maman:
"Ma mère n'a pas été une grand-mère
pour le fils que j'ai eu à vingt ans. Elle préférait
aller flâner en ville plutôt que s'occuper de lui. En
revanche, quand j'ai eu ma fille à trente-deux ans, elle
a fondu. Elle est devenue une vraie grand-mère. A soixante-dix
ans !"
Chaque âge a ses plaisirs...
Valérie
Hanotel, "Figaro Madame"
Article choisi et adapté par F.P.
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