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(1993)
Pas
le temps
Décidément,
on ne sait plus rien faire. Même les choses les plus simples,
les plus naturelles. Tenez par exemple, le sommeil. Voilà
qu'un magazine français consacre sa couverture à l'insomnie,
et nous révèle des pourcentages effrayants d'insomniaques.
C'est-à-dire de gens qui ont perdu la capacité de
s'endormir ou de rester endormis un minimum d'heures, afin, tout
simplement, de récupérer leur énergie pour
entamer une nouvelle phase de vie éveillée.
Alors il faut réapprendre à dormir ou ingurgiter la
chimie qui se chargera du travail, en se substituant à la
nature. Une nature qui deviendra paresseuse, et qui demandera toujours
plus de chimie pour un même résultat.
Réapprendre à dormir suppose d'abord d'essayer de
comprendre pourquoi on ne dort pas. C'est-à-dire essayer
de se comprendre. Cela prend du temps, et "je n'ai pas le temps".
On ne sait plus manger non plus, ni boire. Alors on se gave de pilules
pour stimuler l'appétit ou couper la faim. Après,
bien sûr, c'est logique, on ne sait plus éliminer tout
seul. Il faut une pilule pour aller, ou une pilule pour freiner.
Pour réapprendre tout cela, il faut essayer de... et, "je
n'ai pas le temps".
Et fleurissent les cours, les stages, les séminaires, les
week-ends pour réapprendre tout ce que l'on est en train
d'oublier. Moyennant finances, on réapprend donc à
se relaxer, à se nourrir, et aussi à communiquer,
disent-ils. On va réapprendre tout cela à l'extérieur:
en dehors des amis, des amants, des parents, des proches, de ceux
en somme, avec lesquels il pourrait être agréable de
manger, boire, dormir et faire l'amour.
Seulement, cela prend du temps d'inviter, de cuisiner, de se couler
un bain, de s'y plonger, d'explorer l'autre, de le regarder, de
l'écouter, cela prend du temps, et, "je n'ai pas le
temps". En plus, catastrophe des catastrophes, c'est gratuit.
Aline
Viredaz
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