ARCHIVES (1993)

Cultiver son jardin secret

Les deux sœurs adolescentes, pour s'amuser, chantaient de grands airs d'opéra inventés. C'était qui criait le plus fort pour faire résonner les vieux murs qu'elles habitaient !
- Je t'ai-me !
- Je t'ai-me, oui je t'ai-me...
Et pour finir, exténuées, elles tombaient sur leur lit en pouffant de rire !
Plus tard, quand elles se marièrent, ces jeux musicaux cessèrent. Leur mère était LA musicienne de la famille. Elle était pianiste et essayait en vain de leur apprendre le solfège. Elle se mettait à côté du piano tous les jours et elle comptait:
- Un et deux... un et deux... jusqu'au jour où, excédées, l'une décida de faire du violon et l'autre arrêta net le piano ayant compris, ou cru comprendre, que la musique n'était pas son fort puisqu'elle ne pouvait pas compter et jouer en même temps! Trois fois, elle se remit au piano ...trois fois avec trois professeurs différents elle dut arrêter, car elle n'arrivait toujours pas à les satisfaire! Il y avait un blocage.
Paraît que certains maîtres de musique essayent de donner du plaisir aux enfants sans être obsédés par la technique. Heureux enfants qui peu à peu arriveront malgré tout à un certain stade.
Après avoir chanté dans plusieurs chorales, notre adolescente devenue mère de famille elle-même, entendit parler d'un professeur de chant pour adultes, et c'est le cœur battant qu'elle lui téléphona pour prendre rendez-vous, insistant sur le fait qu'elle ne comprenait rien au solfège, qu'elle n'était pas musicienne, qu'elle n'avait pas de voix.
- Allez, allez mon enfant, lui dit le professeur. Tout le monde peut chanter s'il en a le désir.
Elle se trouva en face d'une merveilleuse diva avec une grosse poitrine (pourquoi les femmes à grosse poitrine sont-elles si rassurantes?) qui, peu à peu, avec amour et une infinie patience, lui redonna courage et confiance.
Dans ce petit salon, semaine après semaine, année après année, elle chanta, cria avec des :
- A-E-I-O-U ...son chant intérieur, ses frustrations, ses manques, son découragement aussi, parfois son bonheur:
- Connais-tu le pays où fleurit l'oranger? C'est là où je voudrais vivre, aimer et puis mourir.
Son amour aussi :
- Oh! mon cher amant, je te jure que je t'aime de tout mon cœur. Souvent la voix sortait magnifique accompagnée par la diva au piano.
La mère de famille ressortait du petit salon heureuse, heureuse avec "son jardin secret" que jamais personne ne piétina, ni ne critiqua, bien enfoui au fond de son cœur.

Maude

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