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(1994)
Une lectrice nous envoie un texte de Denis
Tillinac, écrivain français.
Ma
famille avant tout
Neuf
heures du soir. Je vérifie les lumières de laînée
sur la première déclinaison. Elles sont pâlichonnes.
La deuxième récite à sa mère Le
Renard et les Raisins. Lintonation laisse à désirer.
Le cadet lit à voix basse Tintin au Congo. Il
bute encore sur les ains et les oins. Le
benjamin dort ou fait semblant. Tout à lheure, avant
lextinction des feux, je leur raconterai une histoire. Le
héros sera chevaleresque, les méchants iront en enfer,
la doulce France aura le beau rôle et je marrangerai
pour que les couards soient ridicules... Dodo. Noubliez pas
de faire votre prière.
Cette fausse routine, cest ma joie et ma raison dêtre.
Au risque de passer pour un scribouillard dopérette,
jaffirme que ma famille passe avant ma prose, et passerait
avant ma carrière si la fantaisie me prenait den désirer
une.
Je ne suis pas le seul. A preuve le sondage sur la famille publié
dans Madame Figaro récemment: les Français
croient en Dieu parce que ça les sécurise, et à
la famille faute de mieux: cest le dernier cocon où
se lover quand le reste a pris leau, loasis du paumé
dans le désert cosmopolite du non-sens.
Jai une vision moins thérapeutique et plus combative
de la famille: elle peut être, elle doit être le lieu
privilégié dune transmission dhéritage.
Rien de moins, et dans tous les sens du terme. Il revient aux parents,
voire aux grands-parents, dinculquer la religion sils
en ont une, en tout cas la morale, le goût, les usages, la
tradition familiale, nationale, occidentale. On ne saurait être
bien ou mal élevé que par les siens; le dogme selon
lequel léducation incomberait principalement à
la société ne tient pas la route.
Voilà pourquoi je mastreins quotidiennement à
semer dans quatre caboches rétives le grain de lhumanisme.
Denis Tillinac
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