ARCHIVES (1994)

Quand la réalité dépasse la fiction

Exténuée, transpirante, le coeur battant à cent à l’heure et avec, dans ma tête, une seule idée, celle de prendre un bon bain chaud et de me glisser au lit, voilà dans quel état je me suis retrouvée un soir d’hiver.
Vous pensez peut-être que je venais de faire une course pédestre ou un 4000 mètres ou encore de dévaler des pistes noires à ski,... non, rien de tout cela. Je sortais simplement du cinéma avec ma fille de douze ans après avoir dégusté, que dis-je dévoré “Jurassic Park”.
Le calme, la mine désabusée, les yeux à peine brillants de ma fille contrastaient étrangement avec mon comportement agité, mes rires nerveux et mon regard médusé pendant la séance d’une heure et demie. Quelle violence, quelle cruauté, quel stress permanent, quelle torture infligée à une pauvre mère un peu trop vieille pour ce genre d’expérience visuelle!
Derrière ce défilé de scènes terribles, je me disais, en essayant de me raisonner, que Spielberg possède une maîtrise parfaite du fantastique et de l’imaginaire et qu’il utilise à merveille la haute technologie et surtout, surtout qu’il avait eu une idée géniale sur laquelle construire son film: reproduire les gènes d’une espèce disparue après 75 millions d’années à partir du sang absorbé sur un dinosaure par un moustique fossilisé et enfermé dans de l’ambre.
Aujourd’hui, nous conservons bien au froid des embryons humains. Dans combien d’années les repêcherons-nous pour les sélectionner et en faire des petits d’Homme? Et comme les dinosaures, nous les éparpillerons dans la nature, si possible sous haute surveillance, jusqu’à ce que le système se détraque ou soit saboté, et que l’espèce disparaisse. Non par le fait d’un changement de climat ou du milieu naturel, mais bien parce qu’elle se détruira elle-même en se dévorant, comme dans le film.
Faire un parallèle avec l’actualité est un raccourci dangereux, certes, mais pas complètement insensé. C’est peut-être pour cela que je suis sortie épuisée de ce film, car derrière les images, c’était mon angoisse d’adulte qui se réveillait. Les jeunes spectateurs eux, encore insouciants de leur avenir, vivent le présent et se délectent d’images extraordinaires qui donnent des frissons et font peur, comme quand, petits, ils écoutaient les contes qu’on leur racontait et qui, de toute manière, finissaient bien.
Peut-être ne faut-il pas trop se poser de questions, mais se laisser aller à l’imagination, au fantastique, regarder avec des yeux d’enfants, surtout dans un monde où la réalité dépasse quelquefois la fiction. Ce serait plus facile dans un film d’amour ou un film de Fellini, où poésie, beauté et rêverie trouvent encore une place, mais ce ne sont pas les jeunes spectateurs qui courent ce genre de scénario.
De retour à la maison, ma fille me dit avec un soupir:
- Heureusement, les dinosaures, ça n’existe pas!

Françoise Grøndahl

Retour au sommaire 94

 

  Informations :
info@entretiens.ch
  Réalisation du site:
NetOpera/PhotOpera
 

© Entretiens sur
l'Education, 2000

Accueil Articles Archives Abonnements Adresses Le journal Archives