ARCHIVES
(1994)
Souvenir dhôpital
Conduire son enfant à lhôpital
est toujours ressenti comme une déchirure, parfois comme
une injustice. Les parents réagissent dans ce cas selon leur
personnalité, laissant apparaître plus ou moins leur
angoisse. Mais là nest pas mon propos; jaimerais
plutôt essayer de comprendre comment un enfant, le mien en
particulier, a pu assumer cette difficile épreuve.
Agé de 5 mois, il est entré en pédiatrie. Attaché
sur le dos, des poids au bout des jambes, limmobilité
lui a été imposée du jour au lendemain... et
pour des mois. Pas un cri. Le silence. Il dormait paisiblement,
mangeait avec appétit et détournait calmement la tête
lorsque je lui disais quotidiennement: Maintenant, maman doit
partir. Apparemment, mon fils prenait très bien ce
que dautres enfants supportaient si mal: certains pleuraient
beaucoup, dautres refusaient de manger ou de boire.
Rassurée, mais troublée par le silence de mon enfant,
les mois se sont écoulés. Peut-être est-il vraiment
né ce jour de printemps, où, enfin sorti de lhôpital
(mais toujours immobilisé par des plâtres) il a vu
les feuilles bouger sous le soleil. Ses yeux se sont enfin animés,
comme s'il sortait enfin dun long sommeil!
A partir de ce jour, nos relations ont changé: au cours de
années qui ont suivi (les mois dhôpital et les
opérations alternant avec les séjours à la
maison entravés par les plâtres) une complicité
merveilleuse sest établie entre nous, mieux quune
complicité, un véritable transfert dénergie.
Lenfant prenait, sépanouissait, et comme un zombie,
javais toutes les peines à me ressourcer afin dêtre
suffisamment en forme pour donner.
Nos après-midis dhôpital passaient maintenant
à toute vitesse, nous avions tant de choses à faire
(jeux aimantés, peinture avec les doigts, collages, livres,
bonbonnailles à sucer, etc.) Avec les années, les
enfants apprenaient entre eux la solidarité: les jouets passaient
dun lit à lautre et les amitiés se renforçaient.
Aujourdhui, mon grand adolescent garde un bon souvenir de
lhôpital: Cétait chic, javais
plein de visites, je recevais beaucoup de cadeaux, et avec les infirmières,
on riait bien. Non, je nai jamais eu mal, mais il y a une
chose que jai détesté, vraiment détesté,
cest le sirop quil fallait boire avant les opérations;
cétait dégoûtant et amer!
Après 4 ans dhôpital, plusieurs opérations
et des plâtres à la maison, son souvenir sest
catalysé sur ce sirop qui annonçait confusément
à lenfant linconnu que représente une
opération ainsi que langoisse, notre angoisse ! son
angoisse ?
Reste la question: que sest-il passé pendant ces premiers
mois dhospitalisation vécus dans le silence ou plutôt
dans labsence? Je pense que dans la difficulté, chaque
enfant utilise ses propres ressources. Pour certains bébés,
cétait la révolte (je hurle, je ne mange pas,
je naccepte pas), pour mon enfant ce fut peut-être la
fuite dans limaginaire. A lusage cette façon
de réagir ma quelquefois causé des perplexités.
Pas à lui.
Juliette
Retour
au sommaire 94
|