ARCHIVES (1994)

Riana, étudiante en médecine, raconte sa vie auprès de son frère, Avana, qui est handicapé. Son témoignage a été recueilli par Isabelle Desbiolles.

J’ai un frère, il est handicapé

Je ne me souviens pas d’avoir appris à un moment précis que mon frère était handicapé. Il me semble que je l’ai toujours su, peut-être parce que nous n’avons qu’un an et demi d’écart. D’autre part j’étais déjà sensibilisée à la différence car mon père est physiquement handicapé.
Lorsque nous étions petits, mes copains me demandaient si Avana parlait malgache (la langue d’origine de mon père), car ils ne comprenaient pas toujours ce qu’il disait. Je répondais qu’il parlait une langue secrète que seuls lui et moi connaissions. Quand ils m’interrogeaient sur son handicap, je donnais une explication que j’avais plus ou moins inventée d’après ce que j’avais compris, et qui s’est révélée somme toute assez proche de la réalité. Puisque notre cerveau est divisé en deux hémisphères plus ou moins spécialisés, j’expliquais que chez Avana, l’hémisphère “logique”, qui raisonne, était moins bien développé que l’autre celui de l’humour, de la joie de vivre.
J’ai toujours su qu’Avana était différent. Les visites à l’hôpital, les électro-encéphalogrammes faisaient partie de lui, c’était naturel pour moi. Je voudrais dire aux parents que les frères et soeurs sentent toujours ce qui se passe. Cela ne sert à rien de cacher la vérité, ou de faire une grande réunion de famille pour annoncer solennellement que le petit frère ou la petite soeur “n’est pas comme les autres”.
Les parents devraient absolument répondre aux questions naturelles de l’enfant au moment où elles se présentent. Dès le début il faut parler, ne rien cacher, sensibiliser le ou les enfants à la différence.
Je n’ai jamais entendu des personnes faire des commentaires à propos d’Avana. J’avais l’habitude de “cueillir” mes copains par surprise en annonçant d’emblée: “J’ai un frère, il est handicapé”, ce qui voulait dire en substance: “T’as quelque chose à dire?”
Pendant mon enfance et mon adolescence je n’ai jamais éprouvé la moindre gêne. Je me rends compte que maintenant je parle moins facilement du handicap d’Avana, mais plutôt parce que je sais que c’est un sujet qui peut gêner certaines personnes. D’autre part, lorsque je parle d’Avana, je n’ai pas envie que les gens ne se souviennent que du fait qu’il est handicapé, car ce n’est de loin pas la chose la plus importante en ce qui le concerne.
J’ai quand même assez peur d’avoir à affronter des remarques désobligeantes (pas forcément) de la part d’adultes ou d’enfants. Cela me toucherait beaucoup et ma première réaction risquerait d’être agressive et probablement disproportionnée par rapport à ce que voulait dire la personne. En effet, certaines remarques sont motivées par une curiosité légitime et il faut saisir l’occasion de discuter plutôt que de sortir les griffes au moindre mot!
Accepter le handicap, la différence, est un apprentissage qui devrait se faire le plus tôt et le plus naturellement possible à travers l’école, les médias, mais surtout au sein de la famille (c’est comme ça que ça rentre le mieux!).

* * * * *

Il est important que les parents veillent à ce que l’enfant handicapé ne prenne pas trop de place, sinon il risque de devenir source de jalousie. Les frères et soeurs ne doivent cependant pas être exclus de cette partie de la vie familiale, sous prétexte de les préserver. Ils doivent aussi participer. Sans cela, ils risqueraient de passer à côté de tellement de choses positives.
Le rôle des frères et soeurs est important et spécifique. C’est un aspect de la relation différent de celui des parents. Un enfant handicapé n’a, la plupart du temps, que très peu de contact avec des enfants valides. Les frères et soeurs représentent ce contact.
Ils jouent aussi un rôle stimulant, dynamisant. Il existe souvent entre frères et soeurs une complicité tout à fait particulière. Cela rééquilibre la famille. Les frères et soeurs comprennent des choses qui échappent parfois aux parents. Ils ont souvent plus de facilité pour aider la personne dans ses soins et besoins quotidiens.
Un frère ou une soeur apporte à la personne handicapée au moins autant que celle-ci lui apporte. Vivre avec quelqu’un de différent permet de le voir avant tout comme une personne avec ses richesses propres. Cet “enseignement” est précieux et je pense qu’il me sera utile dans ma vie et peut-être plus spécifiquement dans le domaine d’étude que j’ai choisi (je suis actuellement en 2ème année de médecine). Ce qui est très important dans tout cela, c’est le rôle des parents afin que le milieu familial soit très positif. Si mes parents ont mal vécu certaines périodes, je ne l’ai jamais ressenti. J’en aurais peut-être voulu à mon frère si j’avais eu l’impression qu’il rendait mes parents malheureux.
Je me soucie de son avenir parce qu’il est handicapé, mais aussi plus simplement parce qu’il est mon frère. Cela ne m’empêche pas de vivre et de penser à mon avenir. Il ne faut pas sacrifier sa vie, mais le lien qui unit les frères et les soeurs peut être très fort, indestructible, il ne faut jamais le négliger.

Riana Rakotoarimanana
Paru in "Enfant limité, amour illimité"

Retour au sommaire 94

 

  Informations :
info@entretiens.ch
  Réalisation du site:
NetOpera/PhotOpera
 

© Entretiens sur
l'Education, 2000

Accueil Articles Archives Abonnements Adresses Le journal Archives