ARCHIVES (1994)

Grand-maman de remplacement?

C’est mardi. Aujourd’hui je dois aller chercher Sophie à l’école. Sa mère a bien précisé:
- Onze heures quinze. Ne soyez pas en retard car elle s’angoisse rapidement.
Pauvre chérie... Elle a été ballottée de ci, de là, depuis sa naissance, entre son papa qui a laissé tombé sa maman, les copains de celle-ci, les copines de son papa, les mamans de jour, plus les grands-mères qui essaient de prendre la relève et d’assurer une certaine continuité et stabilité. La gentille grand-maman (celle qu’elle adore, dixit Sophie) est tombée malade. Ça fait beaucoup de monde pour une petite fille de 5 ans!
J’ai le coeur battant, tellement je me réjouis de la voir. Je me sens presqu’aussi excitée qu’à un rendez-vous d’amour... Je la vois sortir de l’école et regarder partout, puis se précipiter vers moi. Elle met sa petite main bien chaude dans la mienne et bras dessus, bras dessous, nous traversons le village.
Elle parle sans arrêt d’un lézard qui avait perdu sa queue et qu’elle a ramassé avec une pelle et qu’elle a remis dans l’herbe, et elle se demande s’il pourra continuer à vivre sans sa queue.
- Bonjour Madame! C’est votre petite-fille? Comme elle est mignonne!
- Non, ce n’est pas ma petite-fille. C’est ma petite amie.
Elle rétorque que je suis presque sa grand-maman. Je lui explique que non. C’est différent, je suis son amie... D’ailleurs, on a plein de secrets ensemble... On a même un petit jardin où on a planté un rosier qu’on avait trouvé dans un ruclon. La rose, je l’ai encore. Elle a séché dans mon petit vase préféré qui est sur ma table de nuit!
Elle représente l’affection que je peux donner sans contrainte, sans frustration à une époque où mes propres enfants sont partis dans tous les coins du monde, où je dois couper le cordon ombilical, où je dois cesser de me faire du souci pour eux, déléguer, laisser vivre en dehors de moi. C’est pour beaucoup de femmes un moment difficile. Une impression de ne plus servir à rien. Une tentation de disparaître...
Laissons nos grands enfants s’épanouir sans faire peser sur eux cette sollicitude qui est encombrante, confions-les à la Providence et donnons notre amour à ceux qui en ont besoin... et il y en a tant...

Maude

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