ARCHIVES (1994)

FAMILLE et actualité

“Maman, est-ce qu’on peut aller à Paris chanter avec la plus grande chanteuse du monde?”
Petit à petit nous apprenons que nos filles de 9 ans pourront participer à l’action “10’000 voix d’enfants pour Sarajevo”. 10’000 enfants chanteront avec Barbara Hendricks sur le Champs de Mars pour demander que la paix s’installe à Sarajevo et en ex-Yougoslavie.
Cette idée nous paraît louable, mais... n’est-ce pas une manière de se donner bonne conscience? Une telle action n’est-elle pas parfaitement utopique? Nos enfants ne vont-ils pas avoir l’impression de participer à une grande action humanitaire en ne faisant que l’effort d’aller chanter à Paris? Ces bonnes volontés ne seront-elles pas exploitées par quelque politicien intéressé?
D’autre part, à neuf ans, les enfants sont idéalistes; avons-nous le droit de détruire leur volonté de faire le bien? Et finalement, si cette action permettait de faire pencher la balance du côté de la paix?
Nous pesons le pour et le contre et finalement autorisons nos filles à prendre part à cette manifestation. Nous leur demandons d’accomplir quelques petits travaux pour gagner l’argent initialement destiné aux frais de voyage, mais que nous donnerons à une oeuvre humanitaire, afin d’ajouter une action plus concrète à leur projet.
La préparation du voyage est très sérieuse: les enfants étudient le thème de la paix en lisant des textes et des poèmes, en regardant des images et en faisant des dessins à imprimer sur les T-shirts qu’ils porteront le grand jour. Il y a même des journalistes qui viennent les voir: l’un n’écoute que ce qui l’intéresse, l’autre prend des photos, publie la plus moche, accompagnée d’un texte sommaire. Ce qui, vous pouvez l’imaginer, déçoit les enfants.
Au retour de Paris, Geneviève tape le récit de sa journée à la machine: “Nous sommes partis le 30 mars 1994. Nous avons pris le TGV pour Paris et sommes arrivés à la gare de Lyon. Nous sommes allés au Champs de Mars à pied et y avons pique-niqué. De petits yougoslaves nous ont parlé, pour nous remercier de chanter pour la paix dans leur pays. Nous avons déposé les jouets que nous avions apportés pour les enfants d’ex-Yougoslavie. Puis nous avons chanté avec Barbara Hendricks, la plus grande chanteuse du monde. Après nous sommes allés au McDonald’s. Nous sommes rentrés très tard à Genève, à l’arrivée l’inspecteur de notre école était là. C’était très chouette.”
Caroline nous fait part de ses réactions:
“Au moment où nous avons chanté, mon coeur battait très fort, parce que j’étais très émue. Puis j’ai été interviewée pour la radio. Je leur ai dit: les enfants veulent plus que les parents que la guerre s’arrête, parce qu’elle continue toujours et les grandes personnes ne bougent pas et en Yougoslavie les adultes continuent à se battre.”
Malheureusement le jour “J” d’autres événements occupent les journalistes, et les médias parlent moins de l’action “10’000 voix pour Sarajevo” que nous ne l’espérions... et la guerre continue...
Pour nos enfants le bilan est tout de même positif: ils auront appris que d’autres enfants souffrent du froid et de la faim et surtout qu’ils sont privés d’une liberté essentielle, celle de jouer!
Ils auront approché le monde journalistique, ils auront fait tout un travail sur la paix, la tolérance et les droits de l’enfant... et ils auront appris à penser aux autres, moins privilégiés, et à réaliser la chance qu’ils ont de vivre à l’abri du besoin et dans un pays en paix.

Laurence Cingria

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