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(1994)
Lettre d'une mère nostalgique
Chère Sylvie,
Bientôt plus personne ne vous volera vos aubes délicieuses,
vos matins neufs, baignés de silence et de plénitude.
Bien plus vite que vous ne le pensez, le sommeil de plomb de jeunes
brutes écrasées de fatigue par le foot ou les jeux
fous avec les copains remplacera les babillages intempestifs des
premières années.
Alors, malgré la joie de voir grandir votre progéniture,
il vous arrivera de regretter le temps révolu du gai remue-ménage
matinal: petits pas sur le plancher qui craque, coups intempestifs
contre votre porte ou débordement vainqueur des corps tièdes
sur votre édredon.
Permettez à une mère de famille marquée dautant
de cicatrices quun vieux matou et couverte de plus de défaites
que de lauriers, tel un grognard de lEmpire aux lendemains
de cent batailles, de vous dire: renoncez, renoncez! Laissez-vous
piller par les tendres voleurs daube, vivez pleinement
ces heures bénies de la prime enfance qui passeront comme
une fumée et ne reviendront pas!
La parole de lEcclésiaste est toujours actuelle: Il
y a un temps pour tout, il y a sous le soleil un moment pour chaque
chose.
Profitons de nos poupons braillards, de nos écoliers studieux
ou dissipés, de nos adolescents aimables ou rageurs, profitons
de la vie telle quelle vient, dans chaque instant gai ou triste
quelle nous donne, sans anticiper ni tirer des plans sur la
comète! Demain est un autre jour.
Denyse Sergy
extrait de Des coquillages plein les poches
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