ARCHIVES (1995)

Une classe d’accueil

J’adore les glaces panachées. Citron avec framboise et kiwi excitent mes impatientes papilles... Laissez fondre un peu les boules avant de les goûter, elles vous révéleront alors toute leur saveur...
Dans ma nouvelle classe aussi c’est plutôt panaché. En ce moment s’y côtoient des Macédoniens musulmans de langue maternelle albanaise, des Bosniaques orthodoxes s’exprimant en serbo-croate, des Serbes plus à l’aise avec les lettres cyrilliques, une Hongroise maîtrisant par bonheur le schwytzerdütsch, un Espagnol et un Portugais avec lesquels on a l’impression de parler la même langue ainsi qu’une Sri-lankaise aussi décontenancée par l’alphabet latin qu’un petit Vaudois devant une stèle de Basse-Egypte. Il n’y manque que nos trois Somaliens partis cet été vers d’autres destinées.
L’effectif de ce microcosme oscille entre huit et quinze élèves. Le plus jeune a onze ans, le doyen en a seize, quelquefois dix-sept. Tout au long de l’année scolaire la composition de cette classe se modifie au gré du marché du travail, des guerres et des progrès de l’enfant. Après quelques mois celui-ci sera intégré dans une classe «normale».
Lorsqu’un nouvel élève arrive, les yeux ronds d’étonnement et d’anxiété, il ne peut que sourire à tous les regards fixés sur lui. On lui laisse le temps de s’habituer à ce monde étrange où rien ne ressemble à ce qu’il connaît. Les anciens lui désignent des objets en les nommant ou lui posent des questions avec des gestes qui remplacent les mots. Avec patience, avec obstination, il décortique les informations. Dès le premier jour il a compris qu’ici on sert la main de la maîtresse avant de quitter la classe. Peut-être a-t-il déjà capté les o et oua d’au revoir.
Jour après jour sa perception s’affine. Chacun progresse au rythme de son envie de communiquer avec les autres. Et quand enfin ils ont assez de mots pour raconter, ils me décrivent leur maison où habitent encore les grands-parents, ils revivent pour moi les parties de luge (qu’ils ont fabriquée eux-mêmes) dans les rues d’un village sans voitures. D’un passé pas si ancien resurgissent des comptines qui se ressemblent étrangement d’un pays à l’autre. Ils récitent leurs alphabets mélodieux et me font découvrir une musique rock aux accents balkaniques. Ils rient de m’entendre prononcer quelques mots dans leur langue. On compare l’école de là-bas où le maître doit souvent taper pour se faire obéir et celle d’ici avec ses stores électriques. On compare les habitudes, les religions, la nourriture surtout.
A Noël ils ont recouvert la grande table d’une nappe en papier et chacun y a déposé une spécialité culinaire de son pays. Quelles variétés de goûts! Ce fut un régal. J’adore les classes panachées!

Jacqueline Vodoz
Communauté romande des Ecoles des parents
Groupe Media

Retour au sommaire 95

 

  Informations :
info@entretiens.ch
  Réalisation du site:
NetOpera/PhotOpera
 

© Entretiens sur
l'Education, 2000

Accueil Articles Archives Abonnements Adresses Le journal Archives