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(1995)
Intolérance,
racisme
Rien
de tel pour comprendre lAutre, celui qui vient dailleurs,
qui parle une autre langue, qui a une autre couleur, bref qui est
différent, que de participer aux vendanges pendant une bonne
semaine.
La petite anglaise recueillie sur une autoroute, qui a besoin dargent
pour rentrer chez elle, ne comprend pas un mot. Elle travaille lentement,
pousse des soupirs car elle se sent très seule. Heureusement
quil y a le fils du vigneron qui la regarde amoureusement.
Tout le monde, cest à dire les autres essaient de lui
faire comprendre des choses avec les mains et les mimiques.
Dans ce petit village, on a lhabitude des étrangers
depuis longtemps. On côtoie des italiens, des espagnols, des
portugais et maintenant il y a en plus des yougoslaves qui font
parler deux. On ne «connaît» pas encore
bien. Les italiens sont pratiquement assimilés et leurs enfants
travaillent et épousent des suisses. Ils amènent la
force de leur travail et surtout la gaieté et la légèreté.
Celui qui est à la vendange chante du matin au soir et flirte
avec les vendangeuses en les regardant de ses yeux de braise. On
lui refile du salami et du vin, des cigarettes, car il crève
la misère, miné par un sombre divorce.
Les «dames italiennes» sont les plus «bosseuses».
Ce sont de vraies machines à travailler. En plus de la vendange,
elles continuent à préparer les repas et à
tout faire à la maison. Une jeune fille demande si elles
sont des femmes parfaites. Elles rigolent et répondent: «Dhabitude
on a la belle vie!»
Les espagnoles naiment pas trop les portugaises. On comprend
vite quil ny a pas intérêt à les
confondre. On sentait au début «comme une gêne
entre elles» dailleurs vite dissipée dans le
travail commun.
Des suisses allemandes, une grisonne, plusieurs vaudoises, des genevoises
en mal de campagne, un couple mixte (elle vient des Philippines),
des retraités français, un célibataire espagnol
qui na jamais eu le temps de se trouver une femme et qui séclate
en chantant de longues mélopées, un vieux pépé
un peu gâteux qui a sa spécialité: il décore
le dernier char avec les fleurs de son jardin, année après
année. Bref tout ce monde sest retrouvé hier
soir pour le «ressac», la fête de la fin des vendanges.
Fête folle où, au son de laccordéon, on
a mangé, bu et dansé jusquau petit matin, malgré
les blessures, les maux de dos et la fatigue. Dans tout le village
le bruit circule. Il y a même eu une farandole qui a traversé
le village vers minuit. Ils se sont défoulés toute
la nuit, ils ont tous dansé, vieux et jeunes, patron, patronne...
Sept nationalités, une petite communauté multi-culturelle.
Quelquun a dit ce matin: «Je regardais tous ces gens
si différents, jeunes et vieux, suisses et étrangers,
chacun sur le même bateau à essayer de faire son chemin,
de trouver sa place avec ses bonheurs et ses drames cachés.»
Maude
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