ARCHIVES (1995)


Le regard des autres

Lorsque j’ai appris que j’attendais des jumeaux je me suis imaginé beaucoup de choses, mais jamais je n’aurais pensé que le fait d’avoir des jumeaux me permettrait de mieux connaître les autres.
Dès que l’on annonce aux autres une grossesse gémellaire on réalise que le monde est coupé en deux: ceux qui en ont toujours rêvé et ceux que cela terrorise. Les premiers sont fascinés, positifs et même envieux, les seconds sont affolés et ne voient qu’une montagne de travail, de problèmes d’éducation et de manque de sommeil. Les personnes indifférentes sont pratiquement inexistantes.
Dès la naissance des enfants on apprend à mieux connaître son entourage, il y a ceux qui savent tout: c’est toujours le même qui rit et le même qui pleure. Bien qu’on essaie d’expliquer que ce n’est pas le cas, ils n’en démordent pas.
Les prénoms de tous les jumeaux, vrais ou faux, de même sexe sont souvent confondus. L’attitude des «autres» face à cette question est, elle aussi, révélatrice.

- Il y a les courageux, qui en voyant arriver l’un des jumeaux disent: «Bonjour A». Ils ont 50 % de chance de tomber juste. J’ai été amusée de constater que le choix du premier prénom utilisé n’est pas le fait du hasard, mais dépend du style de la personne.
- Puis il y a les scrupuleux: «Dis-moi vite qui est qui et comment je peux le savoir!» Les consciencieux se rappellent du truc et ne l’oublient plus.
- Finalement on retrouve les sûrs d’eux: «Tu me dis qu’elles se ressemblent, mais pas du tout, maintenant elles sont tout à fait différentes, c’est à se demander si ce sont réellement des vraies!» Ce sont en général ces gens-là qui se trompent systématiquement.

Mes filles me permettent aussi de reconnaître les gens qui ont une sensibilité particulière, non seulement en sachant toujours qui est qui, mais en ressentant les différences de caractère. Par contre, ceux qui n’ont pas ce «feeling» ne voient absolument aucune différence.
Beaucoup d’enfants reconnaissent très bien leurs copains vrais jumeaux, tout simplement parce qu’ils les connaissaient bien. Par contre, ceux qui ne les différencient pas sont sans complexe et disent: celui-là, machin ou le rouge et le bleu, sans que cela choque l’intéressé. Par contre si l’un des parents se trompe, les jumeaux le perçoivent très mal.
Un autre aspect inattendu et amusant est que les jumeaux sont un sujet de conversation qui intéresse. Lors d’un dîner, si l’on ne sait plus de quoi parler, il est facile de lancer le sujet «enfants». Immanquablement quelqu’un vous posera la question: «Vous avez des enfants?». A la réponse: «Oui, trois, de sept et quatre ans» l’interlocuteur vous regarde l’air ébahi, jusqu’à ce qu’il apprenne que vous avez des jumeaux. Dès cet instant il n’y a plus de problèmes de conversation...
Les «autres» portent souvent un regard réducteur sur les jumeaux en pensant qu’étant liés par leur naissance ce sont des être à part, différents. En réalité chacun des jumeaux a sa personnalité propre et ils prennent bien la place de deux enfants à part entière, si ce n’est même plus...

Laurence Cingria

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