ARCHIVES (1995)


La place du père

Christiane Olivier, femme psychanalyste française et mère de famille nous livre ses pensées concernant «les pères absents».

Le père actuel, même s’il aime ses enfants, ne s’en occupe guère (5 minutes par jour) comparativement à la mère (3 heures) et les nouveaux pères qui partagent les tâches éducatives avec leur femme ne sont pas légion... Il n’y a que 5 % d’hommes qui exercent la fonction paternelle.
Le rôle du Père se résume à certaines obligations bien connues de tous: donner son nom à ses descendants et assurer leur vie quotidienne par son travail. Par contre, la fonction paternelle est beaucoup plus une charge individuelle vis-à-vis de l’enfant qu’une obligation sociale: il y a actuellement des tas d’hommes qui assurent le rôle de Père, mais en évitent la fonction affective qui est d’aimer l’enfant en le paternant, c’est-à-dire en s’occupant de lui moralement et physiquement. Ils pensent, et cela simplifie l’existence, que la mère suffit à l’enfant.
Autant le rôle est une obligation sociale, autant la fonction est une responsabilité affective, dont beaucoup d’hommes n’ont pas encore saisi l’utilité pour l’enfant de quelque sexe qu’il soit.

Les familles monoparentales
Les familles monoparentales, où l’enfant n’a qu’un seul parent à disposition n’apparaît ni comme une anomalie ni comme un handicap dans la situation actuelle, car nous sommes encore dans le cas d’une famille qui, sous des dehors paternalistes, est le lieu le plus assuré du matriarcat.
Que le règne de la mère soit évident, comme dans la famille monoparentale la plus fréquente, ou dissimulé, par la prétendue présence-absence d’un père qui abandonne l’éducation des enfants à la femme, où est la différence pour l’enfant?
Il a toujours affaire à une femme dans les deux situations. Mais le jour où l’homme aura compris que pour le bien de son fils et de sa fille, il est bon qu’il soit présent et paternant, la famille monoparentale ne sera plus équivalente à l’autre.
Le Père dont on rêve
Une mère seule ne peut représenter un Père absent, car quelle femme pourrait parler correctement de celui qu’elle n’EST pas? Les femmes devraient comprendre qu’elles ne peuvent pas, à elles seules, être tout, tout représenter de ce qu’il faut à un enfant!
Donc, ce Père qui manque devient l’homme dont on rêve, et notamment comme antidote quand les choses vont mal entre la mère et l’enfant. De là, plus tard, l’amour inexplicable de la femme pour l’homme, même quand il se sert d’elle, la maltraite ou l’exploite: en tant que rêve, il a toujours été mieux que la mère et sa réalité. Dans l’inconscient de la femme, il reste toujours ce qu’il y a de mieux et en tout cas mieux que la mère.
Il est ainsi mauvais pour la fille de rêver son père, car son image intérieure de l’Homme devient synonyme de Celui-qui-va-obturer-tout-Manque. La déception plus tard devant la réalité de l’homme sera d’autant plus grande qu’il avait été mis plus haut.
Si je me bats contre l’éducation par les femmes, c’est parce qu’elle engendre chez le petit garçon comme chez la petite fille la survalorisation de celui qui Manque, à savoir l’Homme, et que cela a de graves conséquences sur l’entente future entre hommes et femmes adultes.
Comme on peut le constater journellement, l’homme jouit d’emblée d’un préjugé favorable auprès des hommes comme auprès des femmes. C’est qu’on l’a toujours imaginé, donc embelli et idéalisé.

La faute des femmes?
Il semble que les femmes n’aient pas compris (peut-être ne le leur a-t-on jamais expliqué) que la misogynie dont elles font l’objet continuera à habiter secrètement le coeur des hommes et des femmes tant que l’adulte responsable de l’enfant sera exclusivement une femme.
Que veut l’enfant dès son plus jeune âge, sinon manifester sa propre volonté face au désir de l’autre en s’opposant à lui? Donc, tous les enfants, filles ou garçons, débutent l’affirmation de leur personnalité par la contestation du pouvoir de la femme.
En ce qui concerne la petite fille, elle se trouve dans une position singulière car, en s’opposant à la femme, elle s’oppose de ce fait à l’image même de la féminité, ce qui va compliquer terriblement son évolution vers l’ETRE FEMME. Si le père n’est pas là pour la réconcilier avec sa féminité par le biais de l’hétérosexualité, elle ne pourra, au mieux, qu’être AMBIVALENTE avec les femmes et la féminité, ambivalence que nous connaissons bien: il n’y a pas que les hommes qui refusent d’élire les femmes...

Que faire dans l’immédiat?
Que faire alors pour remplacer l’Homme-Père qui manque pour le moment? Comme beaucoup d’enfants vont à l’école maternelle dès l’âge de deux ou trois ans, il serait souhaitable que les jardinières d’enfants soient toutes des hommes, des jardiniers d’enfants. Ainsi, leur influence à l’école ferait un bon pendant à celle de la mère à la maison. Cela rétablirait l’équilibre!

Interview paru dans «Passerelle»
choisi et adapté par F.P.

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