ARCHIVES
(1995)
Territoires
occupés
En
rentrant du travail, je calcule quavec un peu de chance, il
me restera juste un quart dheure pour me caler confortablement
dans un fauteuil et feuilleter un magazine, bref, faire une petite
pose avant daller à la cuisine pour préparer
le souper pour une famille daffamés.
Errare humanum est! Au moment où jarrive à la
maison, mon château en Espagne sécroule sans
avertissement et sans bruit. Au salon, dans une partie du corridor
et dans la chambre de Marc, le sol est jonché de cartons
et de gros livres retournés. Je nai même pas
le temps douvrir la bouche pour rouspéter. «Maman
écarte-toi, mais fais attention, nom dune pipe! Il
y a Carrie (le cochon dInde) qui fait son parcours dans le
tunnel. Tu vas leffrayer ou le blesser si les livres tombent.»
Je me transforme en échassier pour me réfugier dans
ma chambre (lire: chambre à coucher et bureau). Laîné
et son copain sont assis devant lordinateur en train de jouer
à un de ces jeux imbéciles et idiots de guerre et
dattaque par avion et daccompagner les combats de leur
propre bruitage. (Le lecteur averti comprend que ma mauvaise humeur
prend le dessus et mempêche dêtre objective.)
OK, OK, je peux très bien me coucher un instant sur le lit
de laîné - deuxième erreur de cette fin
de journée. Le lit en question reste invisible sous un amas
de dessins, de livres, de chaussettes...
Je maffale sur une chaise de cuisine. Quest-ce que je
fais faux? Où sont passés mes efforts déducation?
Je leur avais pourtant appris le respect de lautre; persuadée
que le bon exemple est le meilleur moyen pour les éduquer,
je métais efforcée de ne pas piétiner
leurs besoins, de faire attention à leur territoire. Je devrais
peut-être marquer le mien comme les chiens? Attention: un
fou rire nerveux me guette au coin.
Le soir, lorsque tous les copains sont partis et que lappartement
a retrouvé son ordre (ou désordre) habituel, le moment
est venu pour leur parler de ma déception et ma colère.
Voulez-vous connaître la réaction de mon aîné?
«Tavais quà nous dire; on aurait arrêté
le jeu et on taurait laissé ta chambre.» Cest
aussi simple que ça: tavais quà dire.
Pourquoi ne pas y avoir pensé moi-même?
Eva Kaenzig
Communauté romande des Ecoles des parents
Groupe Media
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