ARCHIVES (1995)

Couture et courtoisie

En rentrant du travail, j’aime me promener au port pour voir les enfants qui s’y amusent après l’école. Le soleil les fait sortir avec leurs ballons de foot et Julien se trouve au but. Normalement, j’ai droit à un «salut» façon grand mec, à distance, mais aujourd’hui, mon fils court vers moi, m’embrasse - devant les copains - et m’adresse un tout doux «salut maman, ça va?»
Intriguée par son comportement inhabituel, mais heureuse comme une bonne maman, je rentre, et voilà, deuxième surprise, le carnet journalier mis en évidence sur la commode d’entrée. Ce n’est pas du tout dans les habitudes de Julien; il est plutôt du genre à oublier son sac d’école jusqu’à 18 heures 30 et faire ses leçons au dernier moment. Pourquoi a-t-il donc laissé traîner son carnet? Je l’ouvre et trouve la réponse.

Pas de mauvaises notes, mais sous la rubrique «observations des enseignants» quatre lignes en rouge vif.
Je comprends; le regard plein de questions tout à l’heure au port voulait donc dire: «Elle a déjà lu ou pas? Vaut mieux la ménager avec douceur!»
Je lis donc que la maîtresse de couture en a assez, «le comportement de Julien frise l’impertinence», et moi, je n’aime pas ça du tout.
C’est la première fois en quatre ans de sa carrière d’écolier que le comportement de Julien suscite une telle réaction; il ne faut donc pas dramatiser; mais prenons la chose au sérieux. Il n’a pas l’air d’être en pleine forme en rentrant du port et n'a pas du tout envie de répondre à mes questions. Tout ce qu’il dit, c’est des phrases comme: «je ne sais pas», «je n’ai rien fait», «je te dis pas»...

J’estime qu’il a le droit de ne pas dire, mais précise que ces mots en rouge me sont adressés et que je devais bien y répondre, ce qui était embêtant ne sachant pas ce qui s’était passé. Je propose à Julien d’aller s’excuser, ce qui semble impossible pour lui. Dans ce cas, il faut écrire. Je prépare une petite lettre disant que j’ai pris connaissance des remarques et que je regrettais que le comportement de Julien laisse à désirer, que j’avais eu une discussion avec lui où on parlait du respect de l’autre, du travail d’une maîtresse et du sabotage dû à un mauvais comportement des élèves, et que j’espérais que l’attitude de Julien allait changer.
Je laisse la lettre sur la table et prie Julien de la lire et de la signer. Il fait semblant de refuser, mais quelques instants plus tard, je trouve la lettre signée - en caractères minuscules - mais signée. Depuis là, l’ambiance est au beau fixe et j’ai l’impression que Julien me serre plus fort que d’habitude pour dire «bonne nuit».
La lettre-réponse de la maîtresse de couture me touche beaucoup. Il faut croire que les enseignants ne sont pas très souvent soutenus par les parents; pourtant nous avons les mêmes buts: enseigner, éduquer nos enfants.

Ce qui me rend heureuse dans cette histoire, c’est de voir Julien soulagé. Il retourne volontiers à la couture - où il a d’ailleurs toujours très bien travaillé. Il y va sans peur, sans rancune, avec l’impression d’avoir pu réparer une faute et de ne pas avoir laissé traîner les mauvais sentiments.

Silvia Ehrensperger
Communauté des Ecoles des parents
Groupe Media

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