ARCHIVES (1995)

Réaction
Des «allez, va dire merci à la dame!» aux «j’ai pas bien entendu, comment on dit?»

Après avoir lu l’article de Maude à propos des attitudes de reconnaissance qu’elle rencontre de plus en plus rarement, j’ai envie d’ajouter quelques unes de mes réflexions sur ces formules de politesse que sont les «s’il vous plaît, merci, ...»
Quand nos enfants ont commencé à bien parler, nous nous sommes demandés si nous allions les obliger à dire systématiquement «s’il te plaît, etc.» ou si cela n’était pas nécessaire, d’une part parce qu’ils étaient encore petits et d’autre part parce que cela ne correspondait pas entièrement à notre façon de voir les choses. En effet, nous n’aimons pas trop ces petits mots magiques, justement parce que, trop souvent, ils ne sont utilisés que pour leur pouvoir magique, parce qu’ils sont des «Sésame, ouvre-toi!» qui nous permettraient d’accéder au pays de la gentillesse où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Combien de ces mots de politesse sont-ils dits en toute sincérité?

Il y a bien des années, je faisais du théâtre. Nous nous étions fixés comme exercice d’aller chez le boulanger ou l’épicier sans utiliser ni bonjour, ni s’il vous plaît, ni aucun de ces mots que l’on dit sans plus savoir ce qu’ils signifient. Quelle drôle d’idée! Pourtant, l’expérience fut fort intéressante. Cela n’a pas été évident. On se sentait malpoli, coupable, désobéissant. Ces impressions n’étaient pas ressenties envers la vendeuse (le jeu constituait à introduire une relation en dehors des mots magiques, par le sourire, la gentillesse, la plaisanterie, ...) mais bien par rapport à une obligation sociale. Il devient vite évident que tous ces mercis ne sont pas souvent dits par plaisir ou par envie de faire plaisir, mais bien par obéissance à des lois de bienséance, et que le signe officiel peut permettre de dissimuler une absence d’intérêt à l’égard de la personne à qui l’on s’adresse.

A peine savent-ils prononcer «maman» qu’on apprend aux enfants à dire merci et s’il vous plaît. Ils doivent penser que d’avoir des relations avec les autres est une entreprise fort compliquée. Avant, le sourire suffisait, maintenant il faut passer par les formes.
Alors je me pose la question: est-ce la forme ou l’émotion qui est importante?
Est-ce que l’on est encore sensible aux attitudes, ou ne réagit-on plus qu’aux mots? Combien de ces «s’il vous plaît», «merci» sont dits du bout des lèvres et combien de personnes qui les entendent en sont parfaitement satisfaites? Moi pas. Alors j’essaie d’apprendre à mes enfants que la manière de demander est importante, qu’ils doivent sentir comment parler aux autres (par le ton, par le choix des mots) tout simplement pour que les personnes en face comprennent ce qu’ils ont à leur dire. Je ne leur défends évidemment pas d’utiliser les formules de politesse, bien au contraire, parce que c’est aussi une des façons de s’exprimer.
Personnellement, j’aime beaucoup dire merci (oui, oui, c’est vrai!) (d’ailleurs, recevoir des vrais mercis est quelque chose de sublime), mais j’aime dire merci seulement depuis que j’ose aussi ne pas le dire quand je n’en ai pas envie.

Julie

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