ARCHIVES (1996)

Merci maman!

C’est toujours pareil. Le mois dernier, j’ai encore oublié de te souhaiter ton anniversaire à la bonne date. Tu as dit que cela ne faisait rien, qu’à ton âge ça n’était pas plus mal de sauter une année. Décidément, les mères pardonnent tout à ces choses un peu encombrantes que sont leurs garçons devenus grands. La fête des Mères a ceci de pratique qu’elle permet de réparer ce genre de bévues. Dans les vitrines, des calicots nous rappellent à l’ordre. Les plus distraits seront réveillés par les publicités dans les journaux.
Ce 28 mai, promis, je serai prêt, sur le pied de guerre. Nos mères ont toujours été là. Ça n’est pas un mince exploit de nous avoir supportés. Elles nous ont pelé nos fruits au dessert, nous ont empêchés de fabriquer des boulettes avec la mie de pain. Elles corrigeaient nos fautes d’orthographe, nous faisaient réciter nos leçons, peignaient nos cheveux mouillés après le bain, confectionnaient une formidable mousse au chocolat. C’est terrible, jamais aucune femme ne prendra soin de nous comme ça. Les mères sont faites pour dire oui à tout. Elles nous trouvent des excuses. Pour elles, nous n’avons pas grandi. A presque quarante ans, nous sommes encore des gamins qui ne savent pas se moucher sans faire de bruit, à qui il faut dire de ne pas attraper froid, qu’on doit empêcher de dire des gros mots. Evidemment, nous ne les avons jamais écoutées. Elles ont fait semblant de n’être jamais déçues par nous.

Après tout ce temps, nous continuons à ignorer quel est exactement leur parfum préféré. Nous buvons trop de whisky, avons des opinions sur tout. Nos mères sont habituées. Elles sont notre mémoire, nos garde-fous. Elles venaient nous consoler après les fessées paternelles, nous embrassaient dans le noir, nous persuadaient que nous serions les meilleurs, qu’il ne pourrait jamais rien nous arriver. Le jeudi après-midi, elles nous emmenaient au cinéma. Elles nous ont accompagnés au judo, au rugby, à la piscine. Elles nous ont autorisés à avoir un chien que nous avons tout de suite eu la flemme de sortir.

Elles lisaient les romans de Geneviève Dormann, étaient amoureuses de Jean Marais dans «l’Eternel Retour» (ah, son pull jacquard!). Nous avons eu honte d’elles tellement elles conduisaient mal quand elles venaient nous chercher à l’école. Elles ont souri avec indulgence devant nos pantalons à pattes d’éléphant, secoué la tête quand nous avons eu les cheveux longs, levé les yeux au ciel l’été où nous avons voulu nous faire pousser la moustache. Elles ont eu peur lorsque nous avons eu le permis et que nous avons emprunté leur voiture le samedi soir.

Nous continuons à leur téléphoner à n’importe quelle heure pour leur demander le nom d’un médicament, la vraie recette de l’osso-buco. Dans un tiroir, elles ont gardé nos photos de classe, nos bulletins scolaires, tous nos vieux albums de Lucky Luke. Elles ont passé leur vie à s’occuper de nous. C’est fou ce qu’on a pu être gâtés. Il serait temps que nos mères pensent un peu à elles. Nous les avons suffisamment embêtées comme ça. Chères mamans, nous vous embrassons. Et voici une promesse: nous allons vous ficher la paix. Enfin, peut-être.

Eric Neuhoff, article paru dans «Figaro Madame»

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