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(1996)
Article
du passé:
Sollicitude exagérée
De
toutes les critiques adressées aux mères, il ny
en a quune peut-être quil soit juste de signaler:
lexcès dans les petits soins.
Petits soins, disons-nous, cest-à-dire: «mignardise»
dans la sollicitude, exagération dans les précautions,
dans les doléances pour la souffrance la plus légère...
Lerreur est plus encore dans le ton pathétique, que
dans la crainte même. En tous cas, linconvénient
sérieux est de diminuer la virilité, le courage, lénergie,
et de faire de lenfant un être mou, timoré et
lâche.
Il ségratigne ou se cogne: on peut, et lon doit
lui appliquer un taffetas protecteur, une friction opportune. Mais
est-il nécessaire de sécrier avec une voix aussi
larmoyante que langoureuse: «Oh! mon ange chéri! tu
as dû te faire bien mal! Voyez comme il souffre ce pauvre
bijou...! Annette, allez vite chercher le taffetas dAngleterre;
mais allez donc vite! Viens sur moi, cher trésor! Ça
te pique bien fort, nest-ce pas mon bon chat?».
Si après ce tapage et cette mise en scène, lenfant
ne se croit pas très malade et gravement atteint, ce sera
fort étonnant!
Remarquez quau début, il ne disait rien, tant la douleur
était insignifiante; mais en voyant sa mère si troublée,
il sest attendri peu à peu, se disant in petto: «Je
dois vraiment bien souffrir, pour inspirer un tel intérêt!».
Bref! il sest laissé gagner par lémotion
maternelle, et a fini par pleurer à chaudes larmes sur une
douleur imaginaire.
On raconte quun accusé, entendant son avocat plaider
avec une onction touchante, se prit aussi à sangloter par
leffet dune contagion irrésistible. Le jury crut
à un profond repentir; mais le greffier lentendit murmurer
ces mots: «Je ne me croyais pas aussi malheureux que cela!».
En résumé, léducation na pas tant
pour objet déloigner la douleur, que denseigner
le courage en face des maux quon peut combattre, et la résignation
en face de ceux quil faut subir.
F. Nicolay, extrait de «Les enfants mal élevés»
Article paru dans le No 2 de lannée 1897
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