ARCHIVES (1996)

J’embrasse, ou je n’embrasse pas?

Dans ma famille française, on s’embrassait assez peu entre parents et enfants, de temps en temps pour se dire bonsoir, pour des occasions particulières ou des fêtes, des départs ou retours de voyage... Dans les années 50-60 les amis et amies se serraient la main, les baisers étaient réservés aux anniversaires ou aux grandes retrouvailles.

Dans ma belle-famille, à cause d’une belle-soeur qui avait introduit cette habitude j’ai trouvé un tout autre tableau: tout le monde s’embrassait, une fois à gauche une fois à droite, les grands-parents, les jeunes parents et les enfants, matin et soir, et mon mari a huit frères et soeurs...
J’ai tenté de résister à ces embrassades dont la répétition me paraissait exagérée, surtout quand nous passions plusieurs jours ensemble, en offrant à la place un «bonjour, comment vas-tu ce matin?» ou une «bonne nuit, dors bien!» tout en acceptant bien sûr et en rendant chaleureusement les baisers des petits enfants.

Ces dernières années, en France et en Suisse, la mode de s’embrasser s’est répandue à tous les niveaux: si les hommes se serrent toujours la main, les femmes elles, dans leurs groupes d’activités, s’embrassent trois fois pour se dire bonjour et au revoir, les couples se saluent de la même façon et les jeunes se rencontrant pour la première fois s’embrassent trois ou quatre fois.

Je n’aime pas beaucoup l’automatisme répétitif de ces trois baisers réglementaires qui empêche presque l’échange de regards avec celui ou celle qu’on salue, et je trouve que l’on galvaude un peu ce geste de tendresse qui à mon avis devrait être réservé à certains moments ou à certaines personnes.

Je me rends compte que mon attitude va à l’encontre de la coutume en vigueur. Les habitudes changent, les rapports entre les gens et la politesse s’expriment différemment selon les époques, pourquoi ne pas s’y conformer?
Et pourtant, que faire lorsque les usages nous font agir contre notre sentiment personnel? Vais-je offenser les autres si je ne fais pas tout à fait comme eux, vais-je aussi les mettre dans une situation d’inconfort à mon égard?
Puis-je garder le choix d’embrasser mes amies quand je sens une raison ou un désir de le faire, de leur serrer la main une autre fois, ou seulement de dire «bonjour» à la ronde, sans leur faire douter de l’affection ou de l’intérêt que je leur porte?

J’ai décidé d’essayer de me donner cette liberté, et bien évidemment de la donner aux autres, mais je ne sais pas très bien comment m’y prendre: devancer par mon geste celui de l’autre, donc toujours prendre l’initiative, arriver avec deux doigts en l’air comme ma nièce à Paris pour dire «deux baisers maximum», reculer devant le visage qui s’approche, embrasser celui ou celle qui justement ne le désire pas, tricher en disant «non, non je suis enrhumée» ou «il fait trop chaud»?

Je ne suis pas sûre de réussir, et il se peut qu’après toutes ces interrogations, j’embrasse de nouveau sans me poser de questions!

... pour mes enfants, c’est différent. J’ai toujours envie de les embrasser, et c’est plutôt eux qui ne veulent plus!

Christiane Vandeventer

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