ARCHIVES (1996)

Amours juvéniles

C’était l’époque de mes 15 ans. Nous étions deux élèves en section classique au collège de la petite ville, où j’habitais. Tous les jours, on se retrouvait dans la classe de latin, assis l’un derrière l’autre, avec notre maître pour nous seuls. C’était dans une salle du château. Au lieu d’écouter, je passais ces heures à regarder le lac qui effleurait la tour et à lancer en cachette les miettes du pain de ma récréation aux cygnes et aux mouettes. Je regardais aussi le miroir du crâne de mon vieux maître. Une «patinoire à mouches» immense, brillante qui sentait bon le parfum! Pour faire rire mon camarade, je passais derrière mon professeur et je m’extasiais avec exagération sur l’odeur qui se répandait dans la classe! Il faut dire que mon maître était un esthète, qui allait régulièrement à Paris d’où il ramenait plein d’histoires.
- Monsieur, sil vous plaît, aujourd’hui... une histoire de Paris...
- On travaille une demi-heure, puis je vous en raconterai une bonne...
Il avait trouvé un «truc» pour nous faire entrer dans la tête toutes les règles si compliquées du latin. On les chantait en rythme, accompagnées de gestes. Un peu comme un chant grégorien... Et lui, du haut de son pupitre nous dirigeait: en haut, en bas, à gauche, à droite, etc.
Je ne comprenais pas grand-chose, trop occupée par le trac qui m’habitait continuellement et qui m’empêchait de me concentrer... Heureusement que mon camarade me soufflait tout, y compris pendant les interrogations... Mon cher maître se doutait-il de cette «triche» bon enfant?
Bon gré, mal gré, je suis arrivée en dernière année et un jour, au lieu de mon maître chéri, je me suis trouvée devant un beau jeune professeur, venu pour remplacer le mien atteint d’une maladie foudroyante.
Je passais alors mon temps entre les prières pour son rétablissement et les pensées un peu troubles que me procurait mon nouveau maître... J’avais honte qu’il remarquât mes lacunes évidentes que j’essayais de cacher, mais plus les examens approchaient, plus mes notes descendaient... Je regardais pendant les interrogations mon camarade avec angoisse, mais le jeune professeur nous avait placés loin l’un de l’autre, à deux coins opposés de la classe...
Encore aujourd’hui je repense avec tendresse et émotion au grand chagrin d’amour que fut la mort brutale de mon maître de latin... Le second chagrin fut le jour où son remplaçant fut muté dans un autre collège... Révoltée, la mort dans l’âme, je fus envoyée à cette époque en ville pour continuer mes études.
Mais alors là... cessèrent les histoires d’amour...

Maude

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