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(1996)
Une
joie danoise en décembre
Helle
Sauter est née dans une famille de pasteur au Danemark. Elle
raconte les préparatifs de lAvent au presbytère,
qui lamenaient avec ses frères et soeurs, à
fêter pleinement Noël.
Pour
nous les enfants, un ou deux signes ne trompaient pas: ma mère
sortait son vase spécial, une sorte de coupe en terre cuite
à quatre bougeoirs. Elle lornait de petites branches
de sapin et de houx. Mon père, lui, saffairait à
suspendre la couronne de lAvent à lentrée.
Nous savions alors quun événement merveilleux
et exceptionnel se préparait.
Le samedi soir, quatre semaines avant Noël, papa allumait la
première bougie de la couronne, et dimanche matin, à
table, maman allumait la première bougie rouge de son vase.
Une atmosphère toute particulière se répandait
dans la cure et nous commencions à nous réjouir.
Tout dabord, notre attention se portait sur un rebord de fenêtre
de la chambre des parents! Cest là que tous les soirs,
jusquà Noël, nous déposions chacun notre
soulier et que tous les matins, au saut du lit, nous courions enfouir
une main enfantine au fond de la chaussure pour vérifier
si les petits lutins avaient passé. Il y avait des matins
sans rien... - navions-nous pas été sages? -
et des matins avec, oh, un bonbon, un chewing-gum ou alors (le summum)
une sucette enrobée de chocolat! Les préparatifs allaient
sintensifiant.
Avant la guerre, nous avions notre propre cochon et faisions boucherie.
Je vois encore maman dans la chambre à lessive, au milieu
des vapeurs deau bouillante, en sabots et munie dun
grand tablier, en train de nettoyer les boyaux et de les retourner
à laide daiguilles à tricoter. Ensuite,
elle pétrissait la farce à salami et à saucisses.
Pour les enfants, le jour des biscuits était plus excitant.
On en faisait quatre ou cinq sortes. La plus grande boîte
carrée contenait les gâteaux bruns au goût de
pain dépice, en forme de coeur, de cloche ou doiseau,
avec une amande au milieu. Nous avions le droit de découper
une portion de pâte et gardions fièrement le résultat
plus ou moins brûlé dans une petite boîte. Libre
à nous den offrir!
Arrivait le 22 décembre et avec lui notre fidèle invité:
Johannesen. La quarantaine, grand et fort, Johannesen vivait toute
lannée dans une institution pour épileptiques
chroniques graves. Pour moi, il portait littéralement Noël
inscrit sur son visage. Il arborait en permanence un immense sourire,
dune oreille à lautre, et rayonnait à
tel point de gentillesse et de reconnaissance que nos coeurs denfants
en étaient imprégnés. Johannesen aidait mon
père à dresser le sapin au milieu du salon, dont il
touchait le plafond. Puis il le décorait avec ma mère.
Quant à nous, laccès au salon était interdit:
dorénavant la porte restait fermée à clé.
La fête commençait le 24 à quatre heures de
laprès-midi. Dans le crépuscule nordique, vêtus
de nos plus beaux habits, nous nous rendions à léglise
du village. Elle nous attendait, illuminée par deux sapins,
uniquement décorés de bougies, elle était remplie
dune foule qui chantait ces cantiques inouïs de beauté
et de joie, que nous saurons par coeur jusquà notre
dernier jour. Nous touchions de près le mystère de
la bonne nouvelle universelle.
Cest presque en silence que nous rentrions à la maison.
Le dîner festif, avec ses parfums de chou rouge, de rôti
caramélisé et de riz à lamande, mimpressionnait
moins que lultime attente. Celle-ci se passait derrière
la porte du salon, dans lobscurité. Grands et petits,
accroupis en silence, nous écoutions mi-ravis mi-inquiets,
papa converser avec le Père Noël (alias lui-même)
et évaluer avec bonhomie les mérites et les malheurs
de chaque enfant. En même temps, il allumait les bougies et
puis faisait enfin tinter une clochette accrochée à
larbre. Au troisième coup, la porte souvrait
toute grande et, éblouis de lumière, nous nous donnions
la main pour former un grand cercle autour du sapin. Nos yeux ne
le quittaient plus, fascinés que nous étions par lharmonie
qui sen dégageait, par les décorations multicolores
retrouvées, et létoile en haut de larbre.
Alors, tout en marchant, nous chantions à nouveau de tout
notre coeur nos cantiques préférés et ensuite
en sautant et courant toujours plus vite, les chansons populaires
de Noël. Un de ces refrains disait:
Maintenant cest à nouveau Noël
Noël dure jusquau Carême.
Non, ce nest pas vrai
Noël dure jusquà Pâques!
Je
sais aujourdhui que la joie, dès ce moment, ne régnait
plus seulement à léglise, dans la cuisine ou
dans nos chambres, mais quelle était descendue profondément
en nos corps et nos coeurs.
Helle Sauter-Nissen
A paru dans «Approches» (No 165)
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