ARCHIVES (1997)

L’amour paternel

Récemment, le fils (6 ans) de ma compagne m’a demandé: «Dis, est-ce que je peux t’appeler papa?» Pratiquement il n’a guère connu son père qui ne donne plus de ses nouvelles depuis des années. Embarrassé et touché, j’ai demandé à réfléchir. Ma compagne est «plutôt pour». Moi j’hésite: ne risque-t-il pas de me faire le reproche plus tard d’avoir pris la place de son père?
Dans une tentative d’auto-guérison, cet enfant blessé d’être délaissé par son père cherche une reconnaissance masculine qui l’aiderait à se construire intérieurement. Une telle relation privilégiée lui procurerait un sentiment de sécurité, source de confiance en soi. Il est tout à fait normal qu’il essaie de se dégager de ce manque qui le lèse.
Comment répondre à cet appel de mioche tout tendre qui a envie d’aimer et d’être aimé? Dur, dur de résister à donner à cet enfant ce qu’il n’a pas reçu. Pourtant un papa de remplacement, ce n’est pas possible, mais aimer un enfant avec un amour paternel, oui... car un père aime et protège, guide et confronte avec les exigences de la vie. Cela vous savez bien le faire! Accepter sa demande, c’est tricher quelque part avec la réalité, c’est croire réparer une injustice de la vie alors qu’en fait on l’empêche de passer par un travail intérieur de deuil qui rend goût à la vie. Mais dire non à cet appel, c’est risquer de le blesser encore... Que faire? Recevoir le cadeau que cet enfant vous offre en vous choisissant, en vous adoptant dans son affection. Se montrer à la hauteur de ce choix, c’est d’abord le remercier et vous montrer honoré. «J’aurais bien voulu être ton papa, mais je ne le suis pas. Il n’y a qu’un homme qui l’est. Mais de tout mon coeur, je t’aime tout autant!» Parlez au coeur de cet enfant. Quand on aime, on invente les mots qui rendent proche profondément et qui permettent de voir la réalité avec courage, ni plus, ni moins.
Vous pouvez aussi l’aider en lui montrant que ce que vous appréciez c’est ce qui est unique en lui et qu’en même temps vous sentez bien sa tristesse. Toute perte est douloureuse, mais vous pouvez faire en sorte qu’il se sente compris et accompagné. On ne peut ignorer une blessure, mais avec les années elle peut se cicatriser. Pourquoi ne pas chercher ensemble un nom rien qu’à vous et qui symbolise votre affection mutuelle dans une relation qui fait grandir et qui rend fort?

Françoise Kobr

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