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(1997)
Si
on parlait de lanorexie mentale
Suite
aux questions soulevées par plusieurs abonnées concernant
lanorexie mentale, nous abordons ce sujet sous forme dun
témoignage. Nous avons contacté lAssociation
Boulimie Anorexie (ABA)* à Genève dont la fonction
essentielle est de réunir les malades et leurs proches, de
les écouter et de les aider. Une permanence téléphonique
reste ouverte pour tous ceux et celles qui ont le courage de parler
et doser se confier constituant ainsi souvent le premier pas
vers la guérison.
La «lettre à ma fille» que nous publions dans
ce numéro a été écrite par une mère
dadolescente anorexique qui sen est sortie. La mère
fait partie du groupe de lABA et cest elle qui nous
a conseillé les lectures dont sont tirés les extraits
ci-dessous ainsi que la bibliographie qui suit. Nous lui sommes
très reconnaissantes pour son témoignage si poignant
et, en introduction, nous désirons vous donner quelques éléments
de théorie sur lanorexie mentale.
Quest-ce que lanorexie mentale?
Etymologiquement anorexie signifie perte dappétit.
Dans le cas de lanorexie mentale, il sagit dune
restriction alimentaire active dordre psychologique saccompagnant
dune lutte contre la faim et faisant croire à une perte
dappétit. Elle peut déjà concerner le
nourrisson dans le deuxième semestre de sa vie, mais essentiellement
la jeune fille dans la période de ladolescence, forme
la plus fréquente et la plus exemplaire.
Quels sont les critères médicaux pour retenir le
diagnostic de lanorexie mentale?
- une conduite active de restriction alimentaire justifiée
par la décision de perdre du poids et le refus de maintenir
un poids normal minimal
- un amaigrissement qui peut atteindre des niveaux alarmants (perte
dau moins 15 % et plus du poids initial)
- laménorrhée ou absence de règles chez
la jeune fille pubère.
Dautres caractéristiques essentielles au diagnostic
sont:
- la méconnaissance de la maigreur parfois extrême
chez ces jeunes filles (jusquà 50 % de leur poids dorigine).
Elles sont portées par un puissant désir de maigrir
qui saccompagne par une surveillance plus ou moins permanente
de leurs mensurations. On retrouve toujours une attitude particulière
face à la nourriture: par exemple le tri des aliments qui
sont mâchés pendant des heures.
- le contrôle draconien de ce qui entre et de ce qui sort
(vomissements provoqués et utilisation de laxatifs).
- une hyperactivité physique à des fins délimination
des calories ingérées.
- la dépendance très forte à leurs objets damour
(parents, proches, etc...) tout en voulant se suffire à elles-mêmes.
Cette dimension du lien prend souvent la forme de la manipulation.
- un bon fonctionnement intellectuel, mais la maîtrise de
soi limite la créativité.
- les préoccupations sexuelles font lobjet dun
refoulement massif.
Quels sont les signes avant-coureurs de lanorexie mentale?
Il est difficile de les repérer. En général
lanorexie est une maladie que lon reconstruit après
coup lors des consultations ultérieures.
Lanorexie est une maladie grave. En terme de mortalité,
les taux oscillent autour des 5 %; de plus lévolution
de la maladie est parfois relativement longue, la plupart du temps
supérieure à 18 mois. La population à risque
se trouve plutôt parmi la femme blanche, vivant dans un pays
riche et dun niveau social plutôt élevé.
On ne trouve pas habituellement danorexie mentale en Afrique,
ni parmi la population noire américaine, dans un pays pourtant
très concerné par cette pathologie. Dans les pays
occidentalisés 0,5 % des adolescentes sont touchées.
Pourquoi est-ce une maladie de ladolescence?
Cette phase entre lenfance et la vie adulte est un temps critique
pour chaque être humain, car des changements interviennent
dans presque tous les domaines. Les adolescents doivent se chercher
une identité personnelle et se détacher des parents,
construire des relations en dehors du cercle familial, prendre des
responsabilités pour leur propre avenir. De plus sajoute
la maturation corporelle, un processus qui peut être ennuyeux
surtout pour les filles. Jusquà la puberté elles
nont pas la preuve de leur féminité, elles nont
«rien». Quand les changements arrivent, cest «choquant»
pour la fille, dun «rien» elle passe au «trop»
sans quelle nait vraiment pu se préparer. Règles,
seins, rondeurs, pilosité, tout arrive presque en même
temps. Ainsi peut-on comprendre chez certaines quelles souhaitent
que leur croissance sarrête, quelles refusent
des changements et vont en premier supprimer le plaisir de «manger»,
inconsciemment au début. Par ce moyen la jeune fille peut
stopper son développement, elle a lillusion de contrôler
lévolution biologique et par ce biais de contrôler
son entourage, sa position dans la société et elle
acquiert la conviction de sa toute-puissance. De plus ce corps redevenu
peu féminin, sans sexe, a lavantage dêtre
peu désirable et ainsi la protège des hommes et dune
relation sexuelle.
Lanorexie a des causes diverses et complexes
Lune delles est la pression exercée sur les filles
dans nos sociétés quant à la conformité
à un modèle culturel de minceur.
Dautre part, sur le plan de lagressivité, nombre
de jeunes filles sont plus inhibées que les garçons.
Par leur agressivité, ceux-ci arrivent à exprimer
leurs conflits de dépendance vis-à-vis des figures
parentales. Le garçon trouve dans lidentification à
son père une manière de se dégager de la dépendance
maternelle; pour la fille au contraire, ses identifications en tant
que femme la ramènent à son premier objet damour,
la mère. Or il y a une relation étroite entre le nourrissage,
la nourriture et la fonction maternelle.
Les anorexiques et leur mère
Les interactions entre la mère et lenfant dans les
premiers temps de la vie sont tout à fait essentielles dans
la genèse de la structure psychique de tout un chacun. On
constate lampleur de lattachement et de la dépendance
réciproque entre les anorexiques et leur mère.
La place que prend le père dans cette relation est médiée
par la mère. Une femme qui ne permettra pas lintroduction
dun tiers dans la relation avec son enfant pourra choisir
un partenaire dont le tempérament ou lattitude conforte
cette absence de place.
Certaines jeunes filles se trouvent ainsi à une place essentielle
pour léquilibre maternel. Lenfant est un peu
comme un double et ce double est une certaine façon de protéger
la mère. En même temps, linvestissement narcissique
de la mère lamène à fréquemment
valoriser chez sa fille et dans la famille tout ce qui peut être
socialement apprécié: les performances en terme de
résultats scolaires, la réussite sociale et cela au
détriment de formes dépanouissement plus affectives
et plus personnelles.
Les familles dont sont issues les anorexiques sont dans la plupart
des cas des familles «idéales» imprégnées
de lidée du devoir, de lordre, de la réussite.
Lharmonie est obligatoire et les conflits sont écartés.
Lindividualité et lindépendance ne sont
pas tolérées. Par leur anorexie, les filles essaient
de se distancer de leur famille pour pouvoir organiser leur vie
à leur goût.
La famille souffre
Ceci ne veut pas dire que la famille soit fautive ou responsable,
mais elle souffre. Cest pour cela quune thérapie
familiale est souhaitable et quune psychothérapie est
indispensable pour lanorexique. Il faudra que lanorexie
soit reconnue comme maladie autant par les parents que par la ou
le malade. Plusieurs traitements peuvent être envisagés
et dans certains cas on a recours à lhospitalisation.
On peut guérir de lanorexie, cela dépendra entre
autres des capacités des proches et du patient à se
mettre en cause individuellement. Un long travail de verbalisation
et de négociation entre le malade et sa famille ainsi quune
volonté de sen sortir sont les ingrédients dune
lente guérison.
Extraits recueillis et adaptés par Françoise
parus
dans «Maigrir à en mourir» de Sophie Delorme,
édition 1, sept. 1996 (Entretien avec le docteur Jean-Michel
Hervieu, du département de psychiatrie de ladolescent
et du jeune adulte du professeur Jeammet à lInstitut
mutualiste Montsouris de Paris)
et dans la brochure «Info ABA», mars 1997, «la
guérison de Karin» p. 5
Autre livre sur le sujet (une bibliographie plus complète
peut être obtenue par ABA): «Anorexie, Boulimie, Obésité»,
Gérard Apfeldorfer, édition Flammarion 1995 Dominos
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