ARCHIVES
(1997)
Chaque
année à Noël nous cherchons pour nos fidèles
abonnés un conte de Noël. Cette année, il a été
écrit spécialement pour nous par Jean-Pierre Rambal,
homme de théâtre et grand-père habitant Paris.
- Mais oui, Noël, ce nest pas seulement un père
Noël qui arrive sur son traîneau plein de cadeaux qui
seront distribués aux gentils enfants autour du sapin.
Cest aussi la fête du merveilleux, du magique, des étoiles,
de la lumière, des mystères, des enfants... Chacun
peut raconter cette histoire à sa manière et nous
avons aimé celle-là.
Bonne lecture et Bon Noël!
Maude
Petit
conte de Noël
Il
était une fois un boeuf, qui sappelait Barnabé;
et il était une fois un âne, qui sappelait Archibald.
On était en lan 1999, le 24 décembre, cest-à-dire
juste une petite semaine avant lan 2000. Le boeuf Barnabé
et lâne Archibald étaient enfermés dans
un enclos, et cet enclos se trouvait devant les abattoirs.
- Bonjour, dit lâne.
On était le soir, et, soit par timidité, soit quil
ny ait eu personne pour faire les présentations, ils
ne sétaient pas encore adressé la parole.
- Bonjour, dit le boeuf. Je suis content que vous mayez parlé,
parce que je nosais pas. Mais je trouvais le temps bien long.
- Moi aussi, dit lâne, ça nen finissait
pas. Mais on pourrait peut-être se tutoyer?
- Daccord, dit le boeuf. Comment tu tappelles? Moi,
cest Barnabé.
- Moi, cest Archibald, dit lâne, mais si tu veux,
tu peux me dire Archi.
- Daccord, et tu peux mappeler Bébé.
- Ça fait drôle, parce que tu es gros.
- Je ne suis pas gros! Je suis fort. Disons... enrobé.
- Je ne voulais pas te vexer. Que fais-tu ici?
- Je ne sais pas, et toi?
- Euh... non, mais la nuit arrive. Tu as vu cette étoile?
- Oui, elle est très brillante.
- Cest peut-être un spoutnik, dit lâne.
- Que tu es bête! Ça ne se dit plus!
- Je ne suis pas bête. Et cest une idée reçue
de dire «bête comme un âne». Dailleurs,
je sais très bien ce quon fait ici. Je ne te lai
pas dit pour ne pas te faire peur. Cest horrible: tu vois,
ça, ce sont les abattoirs.
- Et alors? dit Barnabé.
- Cest toi qui es bête! Tu ne sais pas ce que cest?
Demain, à laube, on va venir nous chercher pour nous
abattre. Dun coup de merlin.
- Quelle horreur! Quallons-nous devenir?
- Cest simple: moi, du saucisson, et toi du corned beef. On
se retrouvera dans un supermarché, sur les rayons.
- Mais cest affreux! Que pouvons-nous faire?
- Prier, dit lâne.
- Tu as raison, prions. Mais qui nous entendra?
- Le petit Jésus.
Ils se mirent à genoux et prièrent. Au firmament létoile
brillait dun éclat incomparable. Elle semblait même
avoir grossi. Quand ils eurent fini de prier, le boeuf dit à
lâne:
- Dis-moi, Archi, est-ce que tu as déjà entendu parler
de la Nativité?
- Oui, quand jétais petit. Ma mère me racontait
cette histoire, avec Melchior, Balthazar, et ...
- Et... on ne se souvient jamais du troisième! Alors, on
dit «les Rois Mages». Ah, zut, je lai sur le bout
de la langue...
- Mais cest très vieux, tout ça. Tu te rends
compte, ça va faire 2000 ans!
- Oui, et tu sais que nous avons des ancêtres célèbres!
- Comment ça? dit lâne.
- Mais oui, autrefois, tu sais bien, à Bethléem...
- Cest vrai, Bébé, toi et moi, on a des aïeux,
daïeux, daïeux, qui sont entrés dans
la légende.
- Ce nest pas une légende, dit le boeuf, ça
cest vraiment passé. Dailleurs, cest écrit
dans les évangiles.
- Tu sais lire?
- Non, cest ma maman qui me la dit.
- Mais elle ne savait pas lire!
- Si, mais après, elle a oublié, parce quelle
faisait trop de confitures. En tout cas, il y avait nous, et la
maman Marie, et puis Joseph le père, et le petit Jésus
qui avait froid parce que cétait lhiver, même
en Galilée; alors toi et moi, pour le réchauffer,
on soufflait dessus.
- Tu veux dire nos ancêtres, dit Archibald.
- Pourquoi, tu naurais pas fait pareil?
- Ah oui. Si, si.
Dans le ciel infini, létoile, la splendide étoile
semblait sêtre rapprochée.
- Tu as vu, dit le boeuf.
- Oui, elle grossit.
- Elle grossit, et on dirait quelle se rapproche.
- Un OVNI! dit lâne.
- Tout à lheure, cétait un spoutnik, et
maintenant un OVNI?
- Pourquoi pas?
Alors, le boeuf se mit à pleurer à chaudes larmes.
- Quest-ce que tu as, mon Bébé? Raconte-moi
ton gros chagrin.
- Je ne veux pas mourir! Je suis encore jeune! Je veux encore rigoler!
Il hoquetait.
- Cest vrai quon est mal parti.
- Et je ne veux pas finir en boîte de corned beef sur le rayon
dun supermarché!
- Si tu crois que ça mamuse de finir saucisson!
- Je te signale que nous avons déjà prié, dit
lâne.
- On pourrait peut-être recommencer, dit Bébé.
On na peut-être pas prié assez fort. Il claquait
des dents de peur.
- Est-ce que tu fermes les yeux quand tu pries?
- Non, et toi?
- Bien sûr que si! Allez, on recommence.
Et ils fermèrent les yeux. Sans ça, ils auraient pu
voir létoile devenir aveuglément brillante en
descendant sur la terre. Elle sarrêta juste avant et
simmobilisa. Un silence si profond sétablit alors,
quil leur fit ouvrir les yeux. Terriblement éblouis,
ils purent quand même voir se détacher de létoile
une forme, qui petit à petit prenait corps. Et devant leurs
yeux émerveillés apparut le Christ.
- Le petit Jésus! dit lâne.
- Jésus-Christ! dit le boeuf.
Celui-ci se tenait immobile, à quelques pieds au-dessus du
sol.
- Vous mavez appelé? prononça-t-il dune
voix douce.
- Majesté... sire... je veux dire seigneur... dit Bébé.
- Vous pouvez me dire «Jésus».
- Non, Jésus, on ne ta pas appelé, dit lâne.
- Jai entendu votre prière.
- Tu vois, on a bien fait, dit le boeuf à Archi.
Le Christ rayonnait de tous côtés, irradiant une lumière
apaisante.
- Que tu es beau! ajouta Bébé.
- Cest vrai, dit lâne, encore plus beau que dans
tous les livres dimages que jaie jamais vus.
- On dirait presque que tu es réel, dit le boeuf.
- Mais je le suis, répondit le Christ.
Il leva la main et dit:
- Regardez... Abattoirs, disparaissez!
Et il changea les abattoirs en fabrique de caramels mous.
- Oh! dit lâne, tu as vu?
- Ça alors, cest magique, dit le boeuf. Merci, petit
Jésus.
- Soyez sages, et répandez la bonne parole autour de vous.
Il disparut lentement dans létoile, qui remonta de
plus en plus vite vers le ciel. Archibald et Barnabé restaient
là, à la regarder, de nouveau accrochée au
firmament.
- Joyeux Noël, Barnabé, dit lâne.
- Joyeux Noël, Archibald, dit le boeuf.
Jean-Pierre Ramba
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