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(1998)
A
propos de disputes
« Ils
vécurent heureux et eurent beaucoup denfants ».
Lhistoire ne nous dit pas si « vivre heureux »
signifie sans dispute. On peut beaucoup saimer, il me semble,
et se disputer de temps à autre. Les disputes sont inévitables
car elles expriment des heurts, des frustrations, des confrontations,
des échanges didées et de convictions, des hauts
et des bas, marche en avant, évolution, progression. Or,
dans la vie tout est mouvement, ce qui est le contraire de la mort,
où il ne se passe plus rien. Lharmonie à tout
prix est un leurre, un mythe. Tout comme le calme plat de la mer
nest pas éternel, il revient après la tempête.
Nous connaissons tous des couples où il ne se passe plus
rien. Ils sont morts. « Tout va très bien »
est leur credo. Ils sont les seuls à être dupes, car
en creusant un peu on ressent tant de souffrances cachées
et dhypocrisie face à la société. Quelques
fois, lun des deux tombe malade ou meurt. Cest souvent
celui qui ne peut plus supporter la fausseté de la relation,
et qui souffre davoir trop longtemps dû se taire à
tout prix dans le but déviter les frictions inévitables,
la peur du conflit, des confrontations, par manque de courage, ou
encore par désir dharmonie, ou dillusions naïves
quil se faisait sur la relation du couple. Ce genre dhypocrisie
est souvent source dangoisse pour les enfants, une angoisse
sournoise, imprévisible, qui sempare deux. Ils
perçoivent les tensions inavouées, peuvent sen
sentir responsables et ils ne savent plus très bien sur quel
pied danser. Cest pour cela quil est si important dêtre
« vrai », de pouvoir parler, d'expliquer aux
enfants. Leur montrer que les disputes nont rien à
voir avec lamour.
A propos de larticle de Tifany (cf. No 2/1998), je suis sûre
quelle sait actuellement pourquoi ses parents sont restés
ensemble. Peut-être même quelle les admire maintenant,
car il leur a fallu du courage, de la persévérance,
une certaine technique qui a échappé à lenfant.
Le couple est malgré tout resté vivant.
Ceci dit, on ne peut pas nier quil existe des couples plus
ou moins harmonieux, plus ou moins faciles (cela dépend beaucoup
des caractères), mais la chose la plus importante est la
force de leurs sentiments amoureux. Si le couple saime vraiment,
profondément, si les frustrations ont pu être dites
et reçues, sil existe une patience réciproque,
les disputes se résolveront et se termineront sur loreiller...
Le soir de leur vie, avec tendresse, ils pourront se dire: « Viens
te mettre à côté de moi sur le banc devant la
maison. Il va y avoir 40 ans quon est ensemble. On avait rien
pour commencer, tout était à faire. Et on sy
est mis, mais cest dur. Il y faut du courage, de la persévérance.
Il y faut de lamour et lamour nest pas ce quon
croit quand on commence. Mets-toi tout contre moi, on ne parlera
pas. On na plus besoin de rien se dire, on n'a besoin que
dêtre ensemble ». Ce texte, écrit
par C.-F. Ramuz, figurait jusquà cette année
dans les livrets de famille vaudois. Ces mots sont peut-être
désuets pour les nouvelles générations, mais
quoique lon dise, la tendresse restera éternellement
le moteur qui fera avancer le couple vers une sorte dharmonie,
de renouvellement, où chacun aura pu évoluer à
sa manière...
Maude
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