ARCHIVES (1998)

Ambivalence

C’est l’été. De ma fenêtre, je regarde les préparatifs du départ en vacances de mes voisins. Le père en tenue décontractée semble calme, il va et vient de l’appartement à la voiture et transporte des sacs de toutes couleurs. Les enfants regardent. Le garçon sert contre lui son nounours, la petite fille sautille de gauche à droite, en faisant des commentaires:
- Papa par-ci... Papa par-là!
Il n’y en a que pour le père. Et la mère, me direz-vous? Moi, je l’imagine dans la maison:
- Pourvu que je ne pleure pas au moment du départ. Je l’ai bien voulu... c’est moi qui ai choisi ce métier... Maintenant je dois assumer. Une semaine sans les enfants, ce n’est pas une catastrophe puisque je les rejoins bientôt. De toutes façons, ils ont l’habitude puisque je travaille à l’hôpital presque toute la semaine...
Je l’imagine, pour l’avoir vécu tant de fois, l’arrivée dans la petite maison louée là-bas, les cris, les rires, les pleurs de fatigue aussi. Le père qui fait les lits, les repas, puis qui couche les enfants et je me dis que les temps ont changé si vite, si vite. En effet je n’aurais jamais imaginé partir seule avec les enfants, ou vice versa...
A midi je regarde à nouveau par la fenêtre. La mère est assise devant la porte, elle mange une pomme. Elle a l’air rêveuse. A quoi pense-t-elle? Je devrais l’inviter à manger.
Pendant le repas, j’en parle à mon mari et je me permets une petite phrase, du genre:
- J’ai failli l’inviter à dîner car elle est toute seule et me fait pitié.
Réponse de l’homme:
- Tu veux toujours faire le St-Bernard et t’occuper de ce qui ne te regarde pas. Elle n’est pas partie avec ses enfants parce qu’elle doit rédiger sa thèse, et non pas pour venir dîner chez toi. Tu sais dans la vie, il faut assumer ses choix.
Assumer ses choix, c’est plus facile à dire qu’à faire. Cela demande beaucoup de volonté, de force et souvent d’ambition. Cela dépend aussi du mari qu’on a. C’est vrai qu’elle aura un beau métier, celui de médecin. Pensez-vous que ses enfants vont le lui reprocher plus tard? Auront-ils manqué de quelque chose ou, au contraire, seront-ils devenus plus indépendants et débrouillards?
Je ne me fais pas trop d’illusions car quoi que vous ayez fait, certains enfants vous le reprocheront. Que vous soyez restées à la maison ou pas. C’est dans l’ordre des choses.
Alors, me direz-vous, que faut-il faire pour « bien faire »? Je dirais que cela dépend beaucoup du contexte familial, de la formation reçue, de la force qu’on a et de la nécessité aussi (certaines mères doivent absolument travailler pour assurer le quotidien).
Ce qui est important, c’est d’être heureuse dans ce que l’on entreprend, sans culpabilité, ni regrets.
Sur ces réflexions, je ne peux m’empêcher d’ouvrir la fenêtre et de dire un petit bonjour à la jeune femme:
- Alors, ils sont partis?
- Oui, ce matin à neuf heures... Ils arriveront là-bas ce soir. J’espère qu’ils me téléphoneront. Je me sens si triste...

Maude

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