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(1999)
Lenfant
dont je rêvais...
Le voilà, il est né. Jai passé
tant dheures à limaginer! Je lui ai attribué
toutes les qualités lorsque mon humeur était au beau
fixe. Je lui ai aussi donné tous les défauts lorsque
javais des craintes à son sujet et que je pensais à
mes côtés sombres. Tous ces sentiments sont normaux
et sains. Nous sommes habités par des pensées positives
et négatives et il vaut mieux avoir permis à notre
appareil psychique de penser plutôt que de se linterdire.
Il sera alors plus facile de sadapter au bébé
réel, celui qui va venir et qui aura ses caractéristiques
propres. « Le premier souhait de la plupart des futurs
parents, cest déviter les tourments de leur propre
enfance et de devenir des parents parfaits... Protéger leur
enfant contre un monde imparfait ou contre ce quils perçoivent
de négatif en eux-mêmes .» écrit
B. Cramer dans son livre « Les premiers liens ».
Avant que naisse mon premier enfant je me demandais quelle mère
je serai. Aurai-je la fibre maternelle? Depuis mon enfance je voyais
ma soeur, ma cousine, une bonne copine si proches des petits enfants.
Elles étaient joyeuses, elles savaient parler leur langage.
Moi je trouvais cela un peu débile et je ne me voyais pas
faisant « areu-areu » et autres bêtises.
Et puis te voilà. Dès que je tai vu, tu étais
le plus beau bébé du monde. Le sentiment maternel
sest développé et nous avons commencé
à faire connaissance. Le côté corporel de la
relation ma beaucoup apporté et jai senti que
tu étais réceptif et que tu répondais à
mes caresses. Seulement, voilà, mon bébé avait
son caractère, il était imprévisible. Il était
toute douceur ou toute colère. Il passait dun registre
à lautre sans prévenir. Et pour la vitalité...
aïe, aïe, aïe... il en avait à revendre.
Et moi qui avais rêvé dun bébé
dormeur, comme le bébé que javais été.
Il paraît que jattendais patiemment que ma mère
vienne me chercher dans le berceau. Eh bien ce bébé-là
na existé que dans ma tête car jai eu trois
enfants et aucun na été du style décrit
par ma mère.
Puis tu as commencé à gazouiller et je me suis mise
à te répondre. Jessayais de faire les mêmes
bruitages que toi mais tu étais bien plus doué que
moi pour cela. Jaimais passer du temps à te « copier »
et cela me faisait rire. Je ne pensais même plus au ridicule
que je craignais et cest bien quelques mois après tous
ces exercices que je me suis souvenue que je croyais en être
incapable.
Du côté du caractère tu nous avais montré
assez vite où tu voulais aller. Et moi qui tavais rêvé
doux! Et pourtant cela ne ma pas étonnée. Lorsque
je pense à nous, tes parents, et à nos deux familles,
des deux côtés il y a eu des fortes têtes. De
là à penser que nous aussi nous en avons, évidemment
jai fait un lien.
A ton père et à moi il a fallu des trésors
dimagination pour ne pas entrer trop vite dans le cercle vicieux
de laffrontement. Nous avons trouvé le moyen de te
poser nos limites. Par exemple tu adorais la mise au lit. Tu aimais
la musique, les chansons, les comptines. Tu les écoutais
et au lieu de tendormir tu restais éveillé.
Au moindre signe de départ, tu te mettais à grogner
puis à hurler. Nous avons essayé plusieurs formules
y compris celle de rester à côté de toi. Mais
étant épuisés et ayant lu la littérature
concernant le sommeil du bébé, nous avons fini par
te frustrer et te laisser pleurer, après avoir fait le rituel
du coucher en douceur te permettant de te mettre en condition pour
un sommeil paisible. Tu as beaucoup pleuré. Je ne me souviens
plus quand tu as arrêté de réclamer et tu nas
jamais développé des troubles du sommeil majeurs,
mais je gardais le sentiment que jaurais dû mieux gérer
cette période. Rétrospectivement je pense, au contraire,
que jai donné juste et que cest le sentiment
de toute-puissance de « la mère qui peut tout
pour son enfant » qui manimait et que, probablement,
je me sentais coupable à tort.
Au fil des semaines et des mois jai appris à mieux
prévenir tes sautes dhumeur et jen ai vu les
bons côtés, jai appris à faire avec. Mon
mari ma aidée, pour lui aussi cétait difficile.
Il était décrit par sa mère comme un bébé
idéal, sans défauts.
Cest ainsi que se construit lhistoire dun bébé.
Pourquoi avoir gardé en mémoire tel événement
plutôt que tel autre? Je pense que cest par rapport
à la valeur à laquelle jadhère et que
jai envie de voir se perpétuer. Le réel est
surtout ce que jen fais, le sens que je lui donne. Une autre
mère mettra laccent sur un autre événement
et lui donnera un autre sens en fonction de sa propre histoire.
En conclusion, tous mes rêves, toutes mes interrogations se
sont envolés dès la naissance. Le bébé
réel me comblait, mais il restait à faire connaissance
avec ce petit être si différent, si imprévisible
et pour cela il ma fallu descendre de mon petit nuage rose
et entrer dans un pays inconnu: lapprentissage dune
nouvelle relation.
Claudine
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