ARCHIVES (1999)

Toi la Mamie que je n’ai pas eue

Je me souviens avoir répondu à l’âge de 8 ans à une camarade de classe qui me relatait sa tristesse au lendemain de l’enterrement de sa Mémé: « Moi, j’ai de la chance: tous mes grands-parents sont morts avant ma naissance! ». L’angoisse de perdre mes parents (plus tout jeunes) était déjà bien assez grande comme ça, sans en rajouter d’autres!
Il faut dire qu’à l’époque, mes seules références dans le domaine « grand-maman » se calquaient sur la grand-mère du Petit Chaperon Rouge, à qui il fallait apporter des biscuits parce qu’alitée toute la journée!
En grandissant, j’ai croisé autour de moi de fantastiques grands-parents dont la seule vocation était de gâter leur descendance, sans même se sentir obligés de l’éduquer. J’ai alors compris le prodigieux privilège qu’ils possédaient sur les parents: la certitude, pour l’avoir vécu eux-mêmes, que le temps passe vite, beaucoup trop vite. Eux savaient qu’il serait dommage de faire comme l’aiguille de la montre, courir tête baissée sans déguster le moment présent.
Du coup, ils pouvaient concéder à l’enfant le droit d’agir de façon infantile, même s’il grandit à vue d’oeil. Pourtant ils n’ignoraient pas, comme dit la chanson « que le temps qui passe ne se rattrape jamais ». Mais ils toléraient généreusement cet arrêt sur image que symbolise un moment de régression: bercer le petit sans se demander s’il a encore l’âge de l’être, le consoler en parlant sans complexe un langage « bébé », cajoler à outrance, rire d’une bêtise, s’attendrir devant sa dictée phonétiquement écrite et en admirer la logique...
En fait, j’avais découvert des grands-parents capables de contenir leurs inquiétudes en les enrobant d’indulgence, merveilleuse denrée que les parents ne s’autorisent pas toujours à employer de peur de ralentir la maturation de leur fruit.
Peut-être que j’idéalise. En tout cas, c’est à ces grands-parents-là que je m’efforcerai de ressembler. Aujourd’hui, je réalise à regret le vide qu’ils m’ont laissé et tout ce dont m’a privé leur départ prématuré.

Jenny

Retour au sommaire 99

 

  Informations :
info@entretiens.ch
  Réalisation du site:
NetOpera/PhotOpera
 

© Entretiens sur
l'Education, 2000

Accueil Articles Archives Abonnements Adresses Le journal Articles récents